La pique du jour
dit Luc en secouant ses boucles blondes,
je voulais savoir comment l’émotion populaire tournerait, et si ces bonnes gens
allaient à la parfin se décider à mettre le feu au palais. Toutefois, ils n’en
eurent pas le temps, pour ce que le Bargello et ses hommes advinrent,
point assez vite pour tuer dans l’œuf le tumulte, mais point lentement assez
pour qu’il dégénérât.
— Voilà, fils, qui est finement vu. Et que se
passa-t-il ensuite ?
— Je détalai, ne voulant pas compromettre les couleurs
de votre maison avec ces séditieux coquins.
— Et bien fis-tu, dis-je, en me jetant sur le cancan
devant le feu (cette fin mars étant humide et froidureuse). Cependant, ton
délaiement m’a aggravé prou et les « deux ou trois pierres » me
fâchent.
— Col vostro permesso [96] , dit
Luc, Signor Marchese, j’ai dit « une ou deux ».
— Ou deux ou trois. Mais maugré ces trois-là, je
suspens mon arrêt.
— Grazie infinite, Signor Marchese ! Peux-je
vous ramentevoir que j’ai une petite requête à présenter à votre
bénévolence ?
— Voyons la requête.
— Durant que j’étais fort occupé à tout espincher pour
vous devant le Palais ducal, un chien perdu s’est attaché à mes pas…
— Et tu ne l’as ni appelé, ni mignonné, ni nourri des
croûtes de pain dont tes chausses sont pleines ?
— Autant dire pas.
— Et tu voudrais adopter la pauvre bête et l’amener
céans ?
— Col vostro permesso, Signor Marchese, dit Luc
non sans quelque trémulation que je sentis plus que je ne vis, et chez lui et
aussi chez Thierry, lequel assis, sage et muet, sur une escabelle à côté du
feu, m’envisageait de ses grands yeux noirs.
— J’ai observé, dis-je à la parfin, qu’il y a dans les
communs une petite pièce que les hommes de l’escorte n’occupent point, encore
qu’elle ait une cheminée. Se peut qu’ils la trouvent trop petite. Mais vous
pourriez y loger ce chien et même y faire du feu.
— Ha, Monsieur le Marquis ! s’écria Luc en se
jetant à mon genou pour me baiser la main. Mais il ne put donner libre cours à
ses mercis, car on toqua à l’huis et Poussevent, ayant poussé sa bedondaine
jusque-là, me revint dire que le Bargello della Corte me voulait visiter.
À quoi, avant même que j’eusse dit oui, Luc quit de moi son congé, disant qu’il
était temps que Thierry et lui allassent s’exercer au chamaillis d’estoc avec
Pissebœuf. Toutefois, lisant dans son œil une évidente mésaise, je noulus.
Le Bargello entra, suivi de deux hommes, l’un qui me
sembla être un greffier pour ce qu’il était vêtu de noir et portait une
écritoire, et l’autre, une sorte de sergent de la prévôté dans une déguisure
bourgeoise. En quoi je n’errai guère.
— Signor Marchese, dit le Bargello en me
faisant un gracieux salut, mais sans m’accoler comme il le faisait le dimanche
dans le logis de Teresa, vous savez sans doute par votre page ici présent,
lequel y a participé, le tumulte qui a pris pour cible le palais du duc de
Sessa.
— Il y a participé ? dis-je, jetant à Luc un œil
encoléré.
— Passagèrement, ayant jeté trois ou quatre pierres
contre les verrières.
— Trois ou quatre ? dis-je en levant le sourcil.
— Ou se peut quatre ou cinq, poursuivit le Bargello, sa face de médaille tout à plein imperscrutable, mais une de mes mouches
qui se trouvait là et que vous voyez céans en maître-artisan lui ayant dit à
l’oreille de ne point compromettre plus avant dans une sédition les couleurs de
votre maison, il cessa tout de gob. Angelo, reprit le Bargello en se
tournant vers sa mouche, reconnais-tu ce page ?
— Si, Signor Bargello, dit Angelo, des deux ragazzi [97] que vous voyez-là, c’est le
blond.
— Signor Bargello, dis-je, si vous désirez que ce
galapian épouse quatre ou cinq jours la geôle du Château Saint-Ange, vous
n’êtes que de me le dire : il est à vous.
— Cela ne sera pas nécessaire, dit le Bargello avec un sourire. Le ragazzo n’a pu qu’il n’ait agi avec l’irréflexion de
son âge, et ce défaut lui passera en même temps que la jeunesse dont il est le
fruit.
Il me fit en prononçant cette phrase élégante un salut des
plus italiens, auquel je tâchai de répondre sans trop de lourdeur.
— Quant au Basilio, reprit-il, dont le corps exposé
provoqua le tumulte, est-il constant qu’étant votre cuoco, il a attenté
de vous empoisonner ?
— Il
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