La pique du jour
inouïs
transports – et quasi se pâmant – Catherine lut ma lettre et la
relut, et lui posa mille questions, condescendant, toute duchesse qu’elle fût,
à l’inviter à sa table pour ne lui parler que de moi, voulant surtout savoir
quand je serai de retour en Paris, ce qu’il ne put lui dire du tout, ni même
lui laisser entendre, de peur de trahir un secret imposé par le roi lui-même,
et sur le but de ma mission, et sur le lieu où elle s’accomplissait. Et à la
parfin, avec des rougeurs, des mines confuses, et des larmes au bord du cil,
elle osa lui demander, en termes à peine voilés, si là où j’étais, je lui
demeurais fidèle. À quoi La Surie put protester, en toute sincérité, que
c’était bien le cas, puisqu’à son départir, je n’avais pas encore encontré
Teresa.
Mgr Du Perron fut logé, et je m’apense que ce
n’est pas par hasard, dans un palais, non point contigu au mien, mais dont ne
me séparait que le mur qui s’élevait entre son jardin et le mien, lesquels
toutefois communiquaient par une petite porte basse percée dans ledit mur,
jusque-là close et dont on retrouva miraculeusement les clés, dès que
Du Perron fut là. D’après ce que me dit Alfonso, cette porte discrète
avait permis, un siècle plus tôt, à un certain cardinal toscan d’aller aider
dans ses dévotions sa voisine la marquise de X, tandis que son mari était à la
chasse, où il ne demeurait jamais moins de trois heures, étant un gentilhomme
d’une grande douceur de cœur et le cardinal ayant payé ses dettes plus d’une
fois.
Moins d’une semaine après que Mgr Du Perron fut
installé là avec toute sa suite, qui était nombreuse et brillante, comme il
convient à l’ambassadeur d’un grand roi, il me fit dire par un billet porté par
un petit clerc, que si je le voulais voir le soir même, je le pourrais visiter
« en voisin », en passant par la petite porte basse dont nous avions
chacun une clef, et que de son côté, si toutefois cela m’agréait, il se
permettrait dans les occasions d’user du même privilège. Du Perron
ajoutait que du jour où le roi l’avait destiné à ce voyage italien, il s’était
proposé « pour un des plus doux fruits de sa commission le bonheur de
jouir de l’entretien et de la conversation d’un bel esprit comme le mien ».
Que dire alors du sien qui était un des plus brillants de son temps !
Je lui répondis incontinent avec le plus révérend respect,
et avec des compliments tout aussi suaves que, puisqu’il me le permettait, je
le viendrais visiter, non point le soir même (c’était un mardi et le lecteur
n’ignore pas chez qui je suis accoutumé de souper ce soir-là), mais le
lendemain. Dix minutes ne s’étaient pas écoulées que le petit clerc me revint
dire que je serai attendu par Monseigneur le mercredi à neuf heures de la
vesprée, sur le dernier coup desquelles, en effet, je me présentai à la petite
porte basse et trouvai, de l’autre côté, ce même petit clerc qui, prenant des
mains de Thierry la lanterne, me pria de renvoyer mon page chez moi. Quoi fait,
il referma l’huis à double tour et, traversant devant moi le jardin, me précéda
à pas menus jusqu’à une grande salle fort brillamment illuminée de chandelles
où, à mon considérable étonnement, je trouvai, non point une, mais trois
soutanes. La première pourpre : celle du cardinal Giustiniani ; la
deuxième violette : celle de Mgr Du Perron ; et la
troisième noire : celle de M. l’abbé d’Ossat.
Tout en faisant à chacun, selon son rang, les salutations et
les compliments qui convenaient, je ne laissais pas de sentir en mon for une
ébaudissante ironie à l’idée d’être admis au sein de ces lumières de l’Église
catholique, moi, le huguenot qui, sous Henri Troisième, pour mieux servir mon
pauvre bien-aimé maître, avais calé la voile pour aller à contrainte, et maugré cela, me trouvais toujours soupçonné d’abriter dans mon cœur, mal
décrassé du protestantisme, des relents d’hérésie, « la caque sentant
toujours le hareng », comme ma jolie duchesse elle-même l’avait dit.
Il est vrai que Mgr Du Perron, lecteur de
Henri III dans le temps où j’étais moi-même son médecin, avait lui aussi
« calé la voile » en ses vertes années, son père se trouvant être un
pasteur calviniste d’origine juive qui s’appelait Davy, le
« Du Perron » survenant comme un heureux ajout, ce qui me
ramentoit,
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