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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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semblerait que oui, dis-je l’air franc et ouvert.
Car m’ayant cuit une zuppa sur le coup de dix heures, un de mes gens a
eu la maladresse de la jeter à terre, où le chien de mes pages l’ayant gloutie,
incontinent mourut. Quant au Basilio, il s’enfuit.
    — Il s’enfuit ? dit le Bargello, l’œil à
terre.

— Avant que j’aie pu l’appeler à rendre compte de sa zuppa.
    —  L’avez-vous fait rechercher, Signor
Marchese ?
    —  Nenni. Je n’ai pas cru au succès de cette
quête.
    — D’aucuns y ont cru pour vous, dit le Bargello, froidureusement.
    — Il semblerait.
    —  Signor Marchese, reprit le Bargello après un moment de silence, en fouillant le logis de Basilio, nous y avons
trouvé une bourse contenant dix mille doublons, ce qui paraît indiquer qu’il
était à la solde d’un Espagnol. Avez-vous des raisons de penser qu’un seigneur
espagnol ait pu acheter Basilio pour vous empoisonner ?
    — Aucune, Signor Bargello, dis-je promptement,
mon œil répondant au sien.
    — Marcello, dit le Bargello en se tournant vers
le greffier, as-tu bien écrit la réponse du Signor Marchese ?
    — Si, Signor Bargello.
    — Signor Marchese, dit le Bargello, je
vous remercie infiniment de la patience avec laquelle vous avez répondu à mes
questions.
    Nous échangeâmes alors les phrases de courtoisie que tout un
chacun trouve inutiles, sans que personne songe à s’en dispenser dans les
occasions. Après quoi, le Bargello s’en fut, suivi de son greffier et de
sa mouche.
    — Pendard ! dis-je à Luc, dès qu’il fut départi,
va t’occuper de ton chien, et ne reparais devant ma face de quatre ou cinq
heures : une heure par pierre…
    J’eusse pu dire « quatre ou cinq jours » et le
lecteur estimera, se peut, que je montrai là bien de l’indulgence à Luc. Mais je
n’avais pas le cœur à sévir, étant content assez, et de moi, et du Bargello, et des Florentins. De ceux-ci pour avoir eu l’audace de renvoyer au duc de
Sessa sa flèche empoisonnée tout en me gardant blanc comme neige ; du Bargello pour avoir réussi dans son enquête (avec ma connivence) à incriminer l’Espagnol
sans compromettre le duc de Sessa (ce qui eût été fort périlleux et pour lui et
pour le pape) et de moi-même enfin, pour avoir imaginé cette fable de la zuppa renversée par mégarde par mes gens qui, aux yeux du duc de Sessa, lavait Don
Luis du soupçon de m’avoir prévenu.
    Quand Fogacer me vint visiter à la nuitée suivi de son
acolyte, il me pensa étouffer par ses embrassements.
    — Ha, mi fili ! me dit-il, m’entourant de
ses interminables bras comme un serpent de ses anneaux, je ne serais mie
consolé si tu avais laissé tes bottes en ce prédicament. La Dieu merci, tu es
sauf ! Bien protégé que tu fus, et par le cotillon et par la
soutane !
    Oyant quoi, je me désenlaçai de ses tentacules et
l’envisageai, étonné, non point tant par la soutane, car bien imaginai-je
qu’Alfonso n’avait pu agir comme il avait fait sans l’aveu – au moins
tacite – du cardinal Giustiniani, mais par le cotillon, qui désignait si
évidemment Teresa que je me tus, craignant d’en dire trop, si je déclouais le
bec.
    — Eh quoi, mi fili ! dit Fogacer en riant à
gueule bec, son sourcil diabolique se relevant vers les tempes, te voilà plus
muet que poisson ! Et plus circonspect que chat devant un hérisson !
Toutefois, mi fili, le ciel me soit témoin que ta prudence est
inutile ! Puisque je ne suis pas sans connaître le rollet en cette affaire
du cardinal Giustiniani, de Teresa et de Don Luis.
    — De Don Luis ! dis-je, béant qu’il sût cela
aussi.
    — Mais qui d’autre que Don Luis aurait pu savoir que le
duc de Sessa te voulait empoisonner ? poursuivit Fogacer avec un petit
brillement de l’œil. Quant à moi, si Giustiniani s’arrangea pour te présenter
au pape le même jour que Don Luis, et s’il te conseilla ensuite de vivre « très
à l’étourdie » j’imagine qu’il voulait que Don Luis et toi vous devinssiez
amis chez la pasticciera.
    —  Monsieur l’abbé Fogacer, dis-je en souriant
d’un seul côté du bec, y a-t-il encore une chose que vous ne sachiez pas
touchant mon passé, mon présent et mon futur ?
    — Touchant ton avenir, mi fili, dit Fogacer avec
son lent et sinueux sourire, je peux prédire que tu ne mourras pas à Rome de la
main du duc de Sessa.
    — Et pourquoi cela ?
    — Pour ce que le Bargello a fait son rapport

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