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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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m’étant génuflexé au chevet de la princesse, laquelle
reposait pâle et languissante sur sa coite, je baisai la main de M me  de Guise
qui occupait l’unique cancan de la pièce à la dextre de Madame, et lui
glissai chattemitement un seul regard, aussi vite retenu que lancé, mais qui
disait des volumes, et qu’elle reçut, la face imperscrutable, avec un petit
brillement de l’œil dérobé par un battement de cil. Après quoi, me retirant, je
me postai de façon à la pouvoir envisager quand et quand en la balayant de mes
yeux distraits.
    Tous ces gens, mis à tas dans une chambre qui n’était pas si
grande, ne faisaient, à mon sentiment, que dérober à la pauvre intempérée l’air
et le repos dont elle avait besoin. Et d’autant que chacun, après son hommage à Madame, parlait qui à l’un, qui à l’autre, de ses affaires particulières
et, si bas qu’ils s’entretinssent, produisait une sorte de continu brouhaha aussi
lassant à ouïr qu’une conversation à tue-tête. Et ce tohu-vabohu ne laissant
pas, à ce que je crois, de fatiguer Madame tant par sa noise que par sa
mondaine futilité – car elle vivait l’œil fixé sur le Maître du
Ciel –, elle leva une main longue et pâle pour réclamer le silence, et dès
qu’elle l’eut obtenu, elle dit d’une voix faible, mais fort bien
articulée :
    — Vaumesnil, je te prie, joue-moi ce que tu sais.
    Oyant quoi, Vaumesnil saisit le luth qu’il portait dans son
dos, et ayant accordé sa chanterelle et ses cordes graves, joua avec des
accents fort mélanconiques le psaume 79, dont le second couplet se trouvait, en
effet, très approprié à quelqu’une qui se croyait quasi enfournée jà dans les
mâchoires de la mort (et qui, par la bonne heure, se trompait là-dessus). Or,
dès que ces accents retentirent (qui étaient si familiers aux huguenots qui
s’encontraient là) Madame, sans chanter vraiment, n’en ayant pas la
force, murmura distinctement les paroles qu’ainsi encouragés, les huguenots
entonnèrent à sa suite à voix haute :
     
    Oh ! que
n’ai-je la voix de l’ange
    Et la harpe
du séraphin
    Pour chanter
comme eux ta louange,
    Seigneur, mon
rédempteur divin ?…
     
    Psaume auquel les quelques catholiques de cette société, une
bonne douzaine au moins, sans faire tout à plein grise mine – ce Dieu
après tout étant le même que le leur –, ne joignirent pas leur voix, et
encore que l’envie m’en démangeât, connaissant fort bien ces vers que mon père
et Sauveterre psalmodiaient si souvent, et tant de douces remembrances de
Mespech, à défaut de vertu poétique, y étant attachées, je n’y joignis pas la
mienne non plus, ma petite duchesse m’ayant jeté un œil pour me prier d’être
prudent, et de ses deux mignonnes lèvres, sans le prononcer, articulant le mot
« caque ». Et moi, atendrézi par cette coutumière et connivente
gausserie, et de reste lui donnant raison, car il eût suffi, en effet, que je
chantasse pour être tenu à jamais en suspicion par les papistes qui se
trouvaient là – moi aussi, comme eux, je m’accoisai, quoique animé en mon
for de sentiments bien différents des leurs.
    Le roi entra en ce moment pour visiter sa sœur, à laquelle
il était très affectionné, suivi de Gabrielle – qu’il avait depuis peu
faite marquise de Montceaux – avancement dans l’ordre de la noblesse plus
rapide que le mien mais, à la vérité, j’entendais bien que les petits services
qu’elle rendait au roi lui parussent incomparables. Et c’est tout juste, de
reste, si je ne lui donnais pas raison, tant la mâtine était belle,
merveilleusement attifurée dans une robe de satin bleu pâle et son long cheveu
blond rutilant des diamants et des fils d’or dont on l’avait cousu. Or, le roi,
surseoyant à poutouner Madame, la voyant occupée, comme j’ai dit, à
chantonner à voix basse, et soit qu’il fût touché par les souvenirs de leur
commune enfance que ce psaume évoquait, soit qu’il voulût quelque peu conforter
les huguenots que sa conversion et son assidue recherche de l’absolution papale
avaient prou décomposés, soit que craignant une issue fatale à l’intempérie
d’une sœur tant aimée, il eût voulu assouager ses dernières angoisses, se mit
tout soudain, Vaumesnil continuant à toucher le luth, à entonner avec les
autres, non sans un visible émeuvement, le refrain second du psaume :
     
    Je veux
célébrer ta tendresse
    Tant que ma
bouche

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