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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Père un parchemin orné en
son bas d’un ruban rouge et d’un cachet de cire. Le décret d’absolution dont
tous les termes avaient été mûris et pesés par les deux parties avait été
rédigé selon la tradition pointilleuse de la diplomatie vaticane, et
Clément VIII en donna la lecture en latin, d’une voix ferme assez, mais
trop faible pour porter plus loin que le troisième ou quatrième rang de la
foule, insuffisance qui se trouva tout de gob palliée par la voix et la
traduction italienne du hérault, et bien me ramentois-je que lorsqu’au
commencement du décret, il était dit (sans ménagement aucun) que la
prétendue absolution donnée à Henri par un prélat de France était nulle et non
avenue, quelques remous parcoururent les robes pourpres des cardinaux et
quelques sourires gaussants, accompagnés de regards ébaudis apparurent,
adressés à Mgr Du Perron, agenouillé devant le pape, car c’était lui le
prélat de France dont l’absolution donnée à Henri était nulle et non
avenue [101] , tant est qu’on pouvait même se
demander si Mgr Du Perron avait bien la qualité d’évêque, puisque
c’était Henri qui l’avait élevé à cette dignité.
    Cependant, après avoir décousu, Sa Sainteté recousit
aussitôt, refermant d’un baume confortant la navrure qu’il venait d’ouvrir, en
déclarant : « Nous voulons, cependant, que les actes de religion,
d’ailleurs catholiques et dignes d’approbation, qui ont été accomplis en vertu
de cette absolution soient et demeurent valides, comme si Henri de France avait
été absous par nous. » Phrase qui amena de nouveau de très entendus
sourires sur les lèvres des cardinaux, car le pape n’incluait que par prétérition
dans cette validité les actes de religion accomplis avant la
pseudo-absolution donnée par le prêtre français, et parmi lesquels il fallait
compter, précisément, l’élévation dudit prêtre à la robe violette…
    D’Ossat et Du Perron, toujours aux genoux du pape, prononcèrent
alors au nom du roi la formule d’abjuration et la profession de foi catholique.
À la suite de quoi, rendant à son neveu le secrétaire d’État Aldobrandini le
décret d’absolution, le pape lui commanda de donner lecture des conditions
imposées au roi comme acte de pénitence, lesquelles me parurent bénignes assez,
et d’autant que le pape s’en remettait à la bonne volonté d’Henri pour leur
application. D’Ossat et Du Perron ayant dit oui à tout, un greffier avec
une écritoire s’approcha d’eux et, leur tendant tour à tour une plume, leur fit
signer au nom du roi ledit décret.
    Quoi fait, un chœur de moines qui étaient massés derrière
les cardinaux entamèrent le chant du Miserere, leurs voix puissantes et
harmonieuses emplissant toute la place. Le chant commencé, Aldobrandini remit à
Sa Sainteté la baguette du pénitencier, laquelle, pour autant que je puis
voir, me parut être en coudrier, et à l’aide de cette baguette – qui était
censée remplacer les fouets dont on accablait autrefois le dos nu des hérétiques
repentis – le pape, tout le temps que dura le Miserere, toucha
d’une main douce et légère alternativement les épaules de d’Ossat et
Du Perron : ce qui derechef fit sourire quelques cardinaux, lesquels,
se peut, se ramentevaient que Du Perron, ayant lui-même en ses vertes
années abjuré le protestantisme, subissait cette pénitence pour la deuxième
fois, mais cette fois-ci au nom d’un roi.
    Le Miserere fini, le pape rendit la baguette à Aldobrandini,
se leva et dans un silence où l’on eût pu ouïr la chute d’une feuille,
prononça, la face grave et imperscrutable, les paroles de l’absolution. Ayant
dit, il se rassit, et aussitôt les trompettes et les tambours éclatèrent en
triomphants accents, en même temps qu’un cri immense de joie, des bravos et des
applaudissements sans fin s’élevaient du peuple rassemblé là, lequel non
seulement remplissait l’immense place Saint-Pierre au point de n’y pouvoir
loger une épingle, mais bouchait de son infranchissable flot les rues
circonvoisines. Et assurément, ni le chevalier de La Surie ni moi-même
n’aurions pu regagner notre palais si le cardinal Giustiniani ne nous avait
gracieusement raccompagnés dans sa carrosse, devant laquelle, comme devant Moïse
(pour emprunter sa métaphore), ce flot s’ouvrit. Tout le temps du trajet, je
m’accoisai, le cœur me toquant et le nœud de la gorge

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