La pique du jour
serré, effaré que j’étais
par l’immense importance de l’événement que nous venions de vivre.
— Eh bien, dis-je, quand rendu au logis, je me
retrouvai avec La Surie, qu’en es-tu apensé, mon Miroul ? N’est-ce
pas là un merveilleux avancement des affaires de France ? La Ligue réduite
à néant, Mayenne et les Grands rentrés dans le devoir, le royaume pacifié…
— Oui-da, dit La Surie pensivement, le bénéfice
immédiat est grand. Mais il se peut que sans l’absolution, le bénéfice, à
longue échéance, eût été plus grand encore. Car l’Église gallicane, devenue par
force forcée indépendante de la papauté, eût incliné davantage aux réformes des
protestants, et les esprits des Français en eussent été se peut profondément
modifiés.
— Mais, dis-je, au prix de la rallonge, quasi
indéfinie, de nos guerres civiles.
— Certes, dit La Surie (reprenant le
« certes » huguenot), le coût eût été très élevé. Mais…
Il s’accoisa sur ce « mais » et je ne poursuivis
pas, sentant bien qu’il y avait en moi aussi quelque « mésaise »
touchant cette victoire, qui se trouvait être dans le même temps un reniement,
dont les conséquences auraient d’incalculables effets sur l’avenir du royaume.
CHAPITRE XI
Je départis de Rome dès le lendemain des cérémonies de
l’absolution et sans attendre les réjouissances qui les prolongèrent,
Mgr Du Perron me chargeant d’une lettre pour le roi dont il me voulut
bien donner lecture, et dans laquelle, à ce que j’entendis, il se défendait
d’avoir fait trop de concessions au Saint Père, sachant bien que c’était là le
reproche que les huguenots français lui allaient faire à son retour et d’autant
plus aigrement qu’il avait été des leurs et avait, selon leurs dires, troqué
la religion contre l’ambition.
Je me souviens que dans cette lettre à Sa Majesté dont
j’étais porteur, Du Perron usa d’une expression qui m’ébaudit fort.
Parlant des négociateurs – c’est-à-dire de lui-même et de d’Ossat –
il écrivit que dans leurs tractations avec le Vatican, ils ne dépendirent
pas un seul poil de l’autorité temporelle du roi.
Mon soudain départir ne laissa pas d’encolérer prou la
Teresa, mais m’étant remparé derrière l’ordre de Sa Majesté, et lui
montrant autant de tristesse et de tendresse que j’en éprouvais, je fis si bien
que son ire le céda au chagrin, et nous pleurâmes dans les bras l’un de
l’autre, non sans chercher, en nos coutumières pratiques, un réconfort
mélanconique. J’ai observé, à cette occasion, que si le deuil de la séparation
détourne, de prime, de ces appétits-là, ceux-ci, sur la pensée qu’il reste si
peu de temps pour s’y livrer, ne tardent pas à se réveiller, et d’autant plus
intenses et délicieux que vous point davantage la brièveté du moment où on
pourra les satisfaire.
Je traînais le plus âpre de cette mélanconie jusqu’à
Florence, où le grand-duc de Toscane, fort réjoui de l’absolution du roi de
France, et de l’écorne essuyée par Philippe II, me fit le grandissime
honneur de me recevoir à sa table et de me présenter – non se peut sans
quelque arrière-pensée – à sa nièce, Marie de Médicis, au pied de laquelle
je me génuflexai en lui baisant la main, me doutant fort peu que cette
princesse, dont l’humeur escalabreuse et maussade durant la repue me frappa,
deviendrait un jour reine de France. Mais assurément, le grand-duc, lui, y
pensait jà, appétant à fortifier son petit État par l’alliance d’un grand roi.
Je ne dirais point qu’en mettant derechef le pied sur le sol
de France, je perdis la remembrance de la pasticciera, car à ce jour,
après tant d’années écoulées, elle est vivace encore, et je n’ai pas failli à
entretenir avec elle une correspondance qui ne s’amenuisa que par l’excessive
difficulté qu’elle trouvait à écrire. Toutefois, combien que je gardasse mon
attachement pour elle en un coin tendre et chaleureux de mon cœur, elle parut,
la frontière franchie, soudain reculer dans mon passé, comme Rome elle-même, où
il était fort peu probable que je revinsse un jour. Craignant qu’on me reproche
de nouveau la versatilité de mes inclinations, à tout le moins en ce qui touche
ce suave sexe, j’ai quelque vergogne à confesser qu’à partir de Nizza, laissant
l’Italie à jamais derrière moi, ma pensée ne fut de prime
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