La pique du jour
s’y frotter de si tôt,
et que le siège se terminera sans que nous en revoyions la queue d’un !
— J’opine au rebours, dit le connétable, qui non
seulement avait trouvé insufférable la discourtoisie de Biron, mais au surplus,
lui gardait une fort mauvaise dent des attentions qu’il avait prodiguées à
Paris à sa jeune et belle épouse. Il me semble que M. de Biron, qui
est orfèvre, devrait mieux entendre la piaffe espagnole. Le cardinal Albert a
trop d’orgueil pour rester sur cet échec. Il voudra s’en revancher.
— Je le crois aussi, dit le roi. Mais, apparaître et
attaquer, cela fait deux. Sous Laon, après la première défaite essuyée par le
convoi qu’il voulait jeter dans la ville, le duc de Parme est apparu pour
montrer sa force, mais n’a pas attaqué.
— On peut douter, en effet, que le cardinal Albert
veuille véritablement livrer bataille, dit Saint-Luc, de sa voix gentille et
zézayante (dont nul ne s’eût voulu gausser au camp, tant sa bravoure était
connue). Nous disposons céans de trente-deux canons et couleuvrines ! Et
le cardinal Albert ne peut en amener la moitié des Flandres.
— Je doute aussi qu’il veuille vraiment en découdre,
même s’il apparaît, dit Montigny. Sire, ne m’avez-vous pas dit que le prince
d’Orange était convenu avec vous de lancer de sa Hollande une vive attaque
contre une place flamande, si le cardinal faisait mine de faire mouvement sur
Amiens ? Qui aimerait s’engager à plein contre vous avec cette menace dans
son dos ?
— Mayenne, dit le roi, qu’en êtes-vous apensé ?
Le gros duc, qui jusque-là s’était accoisé, sa lourde
paupière voilant à demi un œil qui paraissait ensommeillé, dit d’une voix lente
et sourde :
— Le cardinal dispose en Flandres de beaucoup de
troupes et de bons généraux. Il peut en laisser une partie dans les Flandres,
sous le commandement, par exemple, du comte de Berghe, et attaquer avec le
reste.
— Cela est vrai, dit le roi. Cependant, ni sa cavalerie
ni son artillerie ne valent les nôtres. Et il ne laisse pas de le savoir.
— Toutefois, Sire, dit Mayenne, nous n’avons pas
fortifié le côté d’Amiens qui regarde l’intérieur de la France.
— Pour la raison, dit Biron avec sa coutumière
arrogance, que ce côté est défendu par la rivière de Somme.
— Laquelle se peut toutefois franchir, dit Mayenne.
— Mais, dit Montigny, comment amener des Flandres les
bateaux et les pontons qu’il y faudrait ?
— Sur des chariots, dit Saint-Luc.
— Lesquels, dit Biron, seraient un considérable
alentissement de la marche…
La disputation se poursuivit ainsi quelque temps, sans que
Sa Majesté en tirât conclusion : l’impression, cependant, qui s’en
dégagea pour moi, auditeur muet et respectueux, debout avec quatre ou cinq
autres contre le mur de la tente, fut que tous, sauf se peut Mayenne –
mais il avait été lent et lourd à exprimer son opinion –, s’apensaient que
si même le cardinal Albert survenait, ce serait, comme le duc de Parme sous
Laon, pour montrer sa force, mais non pour l’employer. Et encore me sembla-t-il
que les réticences de Mayenne tenaient au fait qu’il commandait les quelques
troupes disposées sous les murs d’Amiens du côté de la France, lesquels étaient
juste fortes assez pour s’opposer aux sorties des assiégés, mais ne
s’appuyaient sur aucun élément de tranchée, d’ouvrages de terre, de palissades
et autres fortifications. Omission fort surprenante, à y bien réfléchir.
Quand je relatai à La Surie l’essentiel de ce débat, il
en fut frappé aussi, comme de la croyance assurée où les hommes de guerre
étaient que le cardinal Albert n’attaquerait point comme si à force forcée, le
siège d’Amiens devait répéter le siège de Laon, et le cardinal, se comporter en
tous points comme le duc de Parme.
— À mon sentiment, dit La Surie, c’est faire
preuve de légèreté de se forger des certitudes, là où on ne devrait hasarder que
des hypothèses. Et gravissime erreur de n’avoir pas poussé l’encerclement
d’Amiens jusqu’au bout, et de ne pas avoir fortifié le côté qui regarde la
France, sous le prétexte que la rivière de Somme est une barrière, et qu’amener
bateaux et pontons des Flandres alentirait la marche du cardinal. Comme si
l’Espagnol, qui a attendu cinq mois pour attenter la première escarmouche,
redoutait d’être lent !
En compagnie de M. de Rosny,
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