Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
je fis un voiturement
de Paris à Amiens le premier jour de septembre et le lendemain de notre
advenue, nous apprîmes que le capitaine espagnol Hernantello – celui qui
six mois plus tôt s’était saisi d’Amiens, et qui pour cette raison avait reçu
du cardinal Albert la Toison d’or, honneur suprême de la couronne espagnole –
s’était fait tuer par un des nôtres d’un coup d’arquebuse dans un endroit très
découvert, où pour dérober à nos yeux la vue de ses soldats en faction,
l’ennemi avait tendu des toiles. Idée malencontreuse, ces toiles devenant
aussitôt la cible de nos escopettes. La mort d’Hernantello, à ce que nous sûmes
(car nous avions des intelligences dans la place), déconcerta excessivement les
assiégés. D’après ce qu’on me dit plus tard, c’était un petit homme doué d’un
grand esprit et d’un grand courage.
    Chose véritablement étrange, cette description s’appliquait
fort bien à M. de Saint-Luc, lequel avait été, en ses vertes années,
un des mignons de Henri III et, depuis la meurtrerie du roi, avait servi
vaillamment et fidèlement son successeur, au point de recevoir de ses mains cette
charge de grand maître de l’artillerie dont M. de Rosny avait rêvé de
prime, et que, d’ailleurs, il reçut plus tard, mais sans abandonner les
finances du roi.
    M. de Saint-Luc, qui avait mon âge mais ne
l’avouait pas, était un fort délicieux compagnon, beau et brave comme
l’archange saint Michel, l’esprit fin et délié et fort aimé de tous.
    Ce quatre septembre, encontrant dans le camp d’Amiens
M. de Rosny et moi-même, il nous dit avec les jurons précieux et
l’élocution zézayante qui, chez les mignons comme chez Quéribus, étaient restés
à la mode qui trotte, qu’il allait faire le tour des tranchées pour inspecter
ses canons.
    — En ma conscience ! dit-il, les deux mains sur sa
taille de guêpe, on ne saurait en avoir plus, ni les mieux disposer ! Il
en faudrait mourir !
    Expression qui, chez les mignons, voulait dire que la chose
dont on parlait était le nec plus ultra.
    —  Monsieur de Rosny, poursuivit-il, vous qui
vous intéressez à l’artillerie, aimeriez-vous m’accompagner ?
    Et M. de Rosny acquiesçant, il ajouta :
    — Viens-tu, Siorac ?
    Mais je ne pus, le roi m’attendant dans sa tente. Toutefois,
les ayant quittés, je dus aller apaiser une querelle qui s’était élevée entre
Pissebœuf et ceux des cavaliers dont il était le capitaine. Je passai une bonne
demi-heure à entendre la raison de ce chamaillis et, l’ayant entendue, à
l’assouager. Et comme enfin je gagnai la tente du roi, j’y trouvai tous ceux
qui étaient là fort décomposés et la face fort chaffourrée de chagrin :
M. de Saint-Luc venait d’être tué dans une tranchée d’un coup
d’arquebuse tiré des remparts d’Amiens. Et voyant M. de Rosny fort
pâle parler au roi, je m’approchai et vis le roi tout à fait hors ses gonds,
à’steure pleurant Saint-Luc et le louant, à’steure tançant Rosny de s’être
exposé sans nécessité, alors que sa vie était si précieuse au royaume et à la
poursuite de la guerre.
    Ce jour-là, on vit des larmes dans tous les yeux, mais le
lendemain, quand on sut par qui le roi avait remplacé le grand maître de
l’artillerie, colère et groigne chez les grands officiers avaient quasi
remplacé le deuil.
    — Tudieu, Siorac ! me dit le maréchal de Biron,
son œil dur et faux étincelant dans sa creuse orbite, avez-vous ouï la
nouvelle ? M. d’Estrées est nommé grand maître ! Autant dire le
plus pleutre et le moins suffisant ! Voilà ce que c’est que d’avoir cette
garce dans sa tente dorée au milieu de nous ! Nous servons le roi et elle
se sert de lui pour avancer sa dévergognée famille ! Il faudrait mettre
tous ces d’Estrées en sac et les noyer en la rivière de Seine !
    Montigny, quoique moins violent, ne fut pas moins aigre,
quand je l’encontrai.
    — Vertudieu, Siorac ! Quel choix est cela ?
M. d’Estrées ! Le plus sottard de tous !
    — Ha ! dis-je, pour sottard, il ne l’est pas.
    — Mais vertudieu, Siorac ! Vous savez comme moi
qu’il a les ongles trop pâles pour cette charge, et que son cœur lui devient
foie, dès qu’il s’agit de mettre un pied dans les tranchées. Par bonheur, le
pauvre Saint-Luc a bien formé ses capitaines. Sans cela, je ferais bon marché
de ce siège ! Vertudieu, j’enrage ! Est-ce la couchette

Weitere Kostenlose Bücher