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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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tu
pensas le faire à Rome, Teresa regnante [108] , tu
le vas arrondir. Ventre Saint-Antoine ! Il y a là une sorte de
justice ! Une garce vous a failli couler. Une autre vous renfloue…
    Cet entretien eut lieu le quatorze de septembre et le
lendemain au rebours de l’opinion du roi et de tous ses grands capitaines, le
cardinal Albert apparut en bel ordre devant Amiens avec une bellissime armée,
dix-huit canons, des chariots attachés ensemble par des chaînes de fer pour
clôturer son camp et, sur ces chariots, des bateaux et pontons pour jeter un
pont sur la Somme. Puis contournant nos fortifications, qui au nord entouraient
Amiens, il s’avança du côté du sud et se rendit maître d’une hauteur sur le
chemin du village le Long Pré. Ce qui ne laissa pas de nous jeter dans de
grandes alarmes, pour ce que ledit village n’était aucunement remparé, pour les
raisons que j’ai dites, et comportait, en outre, en amont, un pont de bois que
nous avions nous-mêmes jeté sur la rivière de Somme. On pouvait donc craindre
que si le cardinal s’emparait de Long Pré, non seulement il pourrait passer la
rivière quasi sans coup férir, mais ne trouverait aucun obstacle qui valût
entre Long Pré et la ville, pouvant alors fort aisément jeter dedans les murs
tous les secours du monde et rendre notre siège quasi interminable et pour
nous, épuisant.
    Nous en étions là de nos angoisses, quand on sentit la
vérité de cette maxime militaire que M. de Thou a si bien
énoncée : à savoir que si chacun des deux partis adverses connaissait bien
les dispositions de l’autre, ils se feraient grand mal. Il apparut en effet que
le cardinal Albert, faute d’avoir bien été renseigné par ses batteurs
d’estrade, ignorait que Long Pré n’était point du tout fortifié. Il crut, en
fait, le rebours, car sur le tard de la vesprée, étant pris à partie par le
canon du roi, au lieu que de continuer hardiment sa marche jusqu’audit
village – qu’il aurait alors infailliblement emporté – il s’arrêta
sur la hauteur que j’ai dite et ne songea plus qu’à se mettre à l’abri de notre
artillerie pour y passer la nuit.
    Cette nuit fut fatale à son entreprise, car le duc de
Mayenne qui commandait à Long Pré travailla toute la nuit à fortifier le
village, et le roi fit couler de ce côté-là deux mille hommes et du canon en
quantité, tant est qu’au matin, le cardinal s’y cassa le nez.
    Il attenta bien de jeter un pont de bateaux et de pontons un
peu plus haut sur la Somme, mais il fut refoulé, le pont rompu, partie des
assaillants tués ou noyés. Le cardinal ne songea plus alors qu’à se retirer
vers les Flandres, ce qu’il fit en bel ordre, avec lenteur et méthode, et
s’arrêtant pour montrer les dents quand les nôtres le serraient de trop près,
faisant ferme, cinq heures durant, sur la montagne de Vignacourt, mais sans
attaquer. Et Henri ne l’attaqua pas non plus, son conseil l’ayant à juste titre
persuadé qu’il ne fallait rien hasarder, puisque la retraite de l’Espagnol nous
livrait Amiens. Et en effet, trois jours après, Amiens se rendit. Le roi, à
notre indicible liesse, avait guerre gagnée…

 
CHAPITRE XIII
    Alors que ses envoyés, à Vervins, négociaient la paix de
Philippe II, le roi, dont la mémoire sans nul doute fut gracieusement
aidée, se ramentut tout soudain qu’il m’avait promis, à mon retour de Rome, dix
mille écus, lesquels il commanda à M. de Rosny de me bailler le
3 janvier 1598, la veille du jour où, en l’église des Augustins,
Sa Majesté décerna l’Ordre du Saint-Esprit à dix des seigneurs qui
l’avaient le mieux servi en ses guerres. Raison pour quoi
M. de Rosny, le jour où il me fit compter par un aide ces pécunes, me
parut porter un air mélanconique, non qu’il me les plaignît, opinionnant, bien
au rebours, que je les avais bien mérités (comme il voulut bien me le dire),
mais parce qu’il savait qu’il ne serait jamais, lui qui était à son souverain
si fidèle, parmi les chevaliers qu’annuellement le roi recrutait pour cet ordre
qui rassemblait l’élite de ses serviteurs. Ladite chevalerie était en effet
catholique, et de nom et d’inspiration, créée par Henri Troisième et associée
par lui aux rites de son Église, encore que son but, à la création, eût été précisément
de le protéger de la haine, des embûches et des entreprises des dévots.
    M. de Rosny, si grand homme qu’il fût, était,

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