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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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cheveu du petit César, elle survint, se mit à rire, et
demanda au roi en dérision :
    — Ha, Sire ! Comment cela est-il possible ?
Un grand roi comme vous faire le barbier ?
    — Et pourquoi non, ma cousine ? dit le roi
aussitôt. C’est moi qui fais la barbe à tout le monde ici. Voyez-vous point
comme je l’ai bien faite, ces jours passés, à M. de Mercœur, votre
mari ?…
    La Cour s’égaya fort de cette bonne buffe, et moi tout le
premier, n’ayant pas été sans apercevoir, à mille détails, que la dame était
plus chiche-face et pleure-pain que pas une fille de bonne mère en France, et
la soupçonnant fort, la rusée sachant bien que le roi aimait mieux bailler
pécunes que verser le sang de ses sujets en fratricide combat, d’avoir poussé
son mari à demander au roi, pour prix de son ralliement, quatre millions de
livres, lesquels, plus j’y pensais, plus ils me restaient au travers de la
gargamel.
    Un an plus tard, j’eus, hélas, la preuve, en une
circonstance fort chagrine, que la dame, en sa chicheté et avarice, passait les
bornes du convenable au point d’avoir toute honte bue et toute vergogne avalée.
En avril 1599, la pauvre duchesse de Beaufort, alors enceinte, étant prise tout
soudain de convulsions qui lui ôtèrent sa connaissance, fut trois petits jours
à agoniser. Or, le troisième jour, alors que l’issue ne faisait plus de doute,
y compris pour la pauvrette qui avait lors tous ses esprits, et se lamentait de
ce que sa belle face fût fort gonflée et défigurée par son intempérie, M me  de Sourdis,
M me  de Guise et M me  de Nemours
demeurant à son chevet et pleurant à chaudes larmes, il se trouva que M me  de Mercœur
s’approcha de la coite, un chapelet dans ses mains chattemites, et se mit à
prodiguer de pieuses consolations à la mourante, lui recommandant de se vouer
aux saints, aux saintes et aux anges, et dans le même temps, lui prenant la
main comme par compassion, elle lui retirait subtilement ses bagues et anneaux
des doigts et les enfilait sur son chapelet. Par bonheur, la serpente fut
décelée par une des chambrières, laquelle avertit M me  de Sourdis,
qui lui fit sur l’instant dégorger sa picorée, lui disant avec les grosses
dents qu’elle était comptable au roi de ces anneaux.
    Ma petite duchesse, qui me fit ce conte affreux, les larmes,
à cette remembrance, lui coulant encore sur les joues, me dit que la pauvre
Gabrielle, qui pouvait à peine parler, mais avait encore sa conscience, sentit
fort bien quand sa tante lui remit aux doigts ses bagues – lesquelles,
même sur la coite de ses agonies, elle n’avait pas voulu quitter – et,
jetant alors à sa parente un regard d’humble gratitude, elle murmura un merci.
Peu après, elle réclama derechef un miroir, et y ayant jeté un œil, elle dit
d’une voix faible et entrecoupée que si elle avait sa beauté perdue et le roi,
autant valait perdre la vie. Là-dessus, elle se pâma, et quoi qu’on fît, ne put
être ranimée.
    D’aucuns ne faillirent pas de dire qu’elle avait été
empoisonnée – rien au monde ne pouvant retenir les Français de bavarder à
tort et à travers, l’ignorance leur tenant lieu de savoir –, mais en ayant
parlé avec Fogacer et les médecins qui avaient soigné la malheureuse,
j’opinionnai que le mal qui l’avait emportée ne pouvait qu’il ne fût lié à sa
grossesse, le cas n’étant pas rare de femmes enceintes prises de convulsions, de
terribles affres gastriques, et la face quasi défigurée par un gonflement
soudain. Quelques mois avant la Gabrielle, la belle Louise de Budos, grosse,
elle aussi, de son mari le connétable, était morte de la même intempérie. Ha,
lecteur ! C’est pitié quand le fruit de la grande amour dont nous sommes
pour nos épouses raffolés les fait ainsi succomber dans la fleur et beauté de
leur âge.
    Mais pour en revenir au printemps 1598 et à la Bretagne, je
voulus la quitter sans en faire le tour et la trouvai aussi belle, en toutes
ses parties, qu’elle était réputée l’être, en particulier le long de sa côte,
sauvage au nord, douce et tempérée au sud. J’observais, dans mes chevauchées,
que les gentilshommes y étaient fort attachés à leur terre, très déprisants des
fastes de la Cour, proches assez de leurs paysans, et guère plus riches qu’eux,
lesquels en de certains endroits sont tout à plein misérables, toutefois fort
dévotieux à leurs prêtres ; avec

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