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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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l’étranger, j’entends avec le français
(dont peu parlent la langue) abrupts et escalabreux ; cependant, à mieux
les connaître, bons et droits, quoique souvent d’une humeur qui tire sur le
mélanconique. De toutes les villes bretonnes, Vannes me parut, sinon la plus
belle, du moins la plus charmante, enfermée dans ses remparts au bord de son
golfe parsemé d’îles riantes, l’air même qu’on y respire ayant, plus qu’en
n’importe quel coin de France, je ne sais quelle prenante douceur.
    Ma bonne fortune voulut que, les auberges étant pleines, et
alors que je me voyais jà à la rue, la nuit tombée, sous une petite pluie fine,
une noble dame, passant en sa carrosse et me voyant dans quelque embarras,
s’arrêtât pour s’en enquérir, et, sur le vu de ma seule bonne mine, me
recueillît dans sa maison avec le chevalier, mon escorte logeant dans une de
ses fermes, à quelque cent toises de là. Cette noble dame se nommait Catherine
de Rollin, et, étant veuve, vivait là avec sa sœur, celle-ci appartenant à une
sorte d’ordre religieux qui n’imposait pas la clôture, et toutes deux si
bonnes, si aimables, le cœur si ouvert et la main si large que je me pris en
peu de temps pour elles d’une extraordinaire affection, en particulier pour
Catherine qui avait en sa complexion je ne sais quoi de rieur et de naïf qui me
laissait atendrézi. Je restai quinze jours avec les deux sœurs, plus heureux
que coq en pâte, et les quittai avec des larmes, en jurant de leur revenir
toujours – ce que dans la suite je ne laissai pas de faire –, étant
attaché à elles par tant de fibres que les noms de Catherine et de Bretagne, encore
à ce jour, demeurent quasi synonymes en ma remembrance.
    Je revins à Nantes, où se trouvait le roi, à la mi-avril, et
y trouvai la Cour fort en effervescence, Sa Majesté venant de promulguer
un édit qui accordait aux huguenots une pleine liberté de conscience (la
liberté de culte étant restreinte à deux villes par bailliage), l’accès aux
charges publiques et une centaine de places de sûreté. À vrai dire, cet édit
reproduisait quasi mot pour mot celui de mon bien-aimé maître le roi Henri
Troisième, la différence étant que celui-là n’avait valu que son poids de
papier, le dernier Valois ne disposant pas de la force qu’il eût fallu pour le
faire appliquer, alors qu’on sentait bien que notre Henri, débarrassé de la
prétendue Sainte Ligue, vainqueur de l’Espagnol et maître incontesté du
royaume, y tiendrait fermement la main. Pour moi, je le dis tout net, dussent
d’aucuns de mes lecteurs zélés me honnir pour cela, je tiens cet édit, monument
de sagesse et de tolérance, pour le plus important du siècle. Oui-da ! Et
j’aimerais, si j’étais riche assez, entourer d’une balustrade d’or le château
où il fut signé…
    Il est bien vrai qu’en ce qui me concerne, je me suis
accommodé avec le temps à la religion catholique, gardant l’espoir que ses
« infinis abus », comme disait La Boétie, seront un jour
« rhabillés ». Mais je n’ai point pour cela tourné casaque ; la
huguenoterie me tient au cœur par toutes les fibres de mon enfance, et je me
sens immensément félice, et que les persécutés cessent de l’être, et que cette
aurore de paix, annoncée par l’Édit, luise enfin au ciel de France après les
effroyables troubles de nos guerres religieuses.
    J’étais de retour en Paris depuis vingt-quatre heures à
peine, quand M. le curé Courtil me dépêcha un de ses clercs pour quérir de
moi si je le voulais bien recevoir. Et sur la réponse que je lui fis tenir que
je l’accueillerais avec plaisir sur le coup de trois heures, je l’attendis,
étonné assez de cette démarche insolite, car encore que je fusse avec lui en
bons termes, je ne le voyais qu’une fois l’an pour me confesser et lui bailler
mon denier.
    — Or sus ! me dit Miroul en riant, rien n’est plus
simple, c’est cela qu’il vient avec vous barguigner : son denier et votre
absolution !
    — Je ne sais. D’ordinaire, il m’espère et ne m’appelle
pas. Voilà qui est étrange !
    Et à vrai dire, quand le bonhomme survint, il me parut
déceler chez lui l’ombre d’un embarras. Je dis « il me parut », car
sa face ne faisait point partie de celles où s’inscrivent soucis, scrupules et tracas,
étant large, rouge et luisante comme un jambon, sa bouche en outre tirant sur
le vermeil, et une mâchoire forte et

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