La pique du jour
m’apensai-je. Je subis là une sorte
d’inquisition ! Et de mon curé même !
— Monsieur le Marquis, reprit-il après un moment de
silence, hantez-vous habituellement des huguenots ?
— Je sers le roi, dis-je avec un sourire. Je ne peux
donc faillir d’encontrer les huguenots qui le servent aussi. Par exemple,
M. de Rosny.
— Et Madame ?
— En effet, j’ai vu Madame deux fois cette
année. La première fois durant son intempérie. La seconde fois, pour ce qu’elle
m’a convié à souper avec M. de Rosny.
— Il semblerait que durant ladite intempérie, d’aucuns
huguenots à son chevet aient chanté un psaume.
— Cela est vrai.
— Et l’avez-vous chanté aussi ?
— Nenni, dis-je.
— On m’a assuré le contraire.
— On vous a donc menti, Monsieur ! dis-je très à la
fureur. Et si vous consentez à me dire le nom de ce dévergogné menteur, j’irai
lui rentrer ses menteries dans la gargamel !
— Monsieur ! Monsieur ! Monsieur le
Marquis ! s’écria le curé Courtil, blanc comme craie, de grâce,
apaisez-vous ! J’en crois votre parole !
— Son nom ! huchai-je à gorge rompue en me levant,
et non sans contrefeindre plus d’ire que je n’en ressentais vraiment.
— Je ne saurais le dire, dit Courtil en s’agitant sur
son cancan, j’ai ouï cette personne en confession. Monsieur le Marquis,
reprit-il, je suis bien marri de vous avoir tant déquiété. Mais du moins
suis-je de présent tout à fait satisfait en ma conscience, et si vous voulez
bien reprendre place sur votre prie-Dieu, je m’en vais vous bailler votre
absolution.
Ce qu’il fit, et ce que j’ouïs, je n’oserais dire, en toute
repentance, ma pensée étant bien loin de mes péchés à cet instant.
— Monsieur le curé, dis-je quand il eut fini, à mon
tour ! Qui vous a inspiré les questions que vous m’avez posées ?
— Qui, sinon mon évêque ? dit le curé Courtil en
baissant les yeux.
— Quoi ? dis-je, nous en sommes là ! L’Église
de France descend à ces inquisitions et se veut tout espagnole, alors même que
Philippe II est bel et bien battu !
— Ha, Monsieur le Marquis ! s’écria le curé
Courtil, entendez, de grâce, que notre malheureuse Église vit de présent des
épreuves excessivement douloureuses. Savez-vous que le pape, en apprenant ce
qui a été décidé à Nantes, s’est écrié : « Ha ! Voilà qui me
crucifie ! Cet Édit est le plus mauvais qui se pouvait imaginer. Il permet
la pire chose au monde : la liberté de conscience ! »
Cette confession inquisitoriale du bon curé Courtil ne fut
qu’une bulle à la surface du bouillonnement que je vis ensuite trémuler et
tressauter dans les marmites des églises, des couvents, des sacristies, de la
Sorbonne et même du Parlement, où il se trouva tout soudain une foule de
rebelles – à commencer par le président Séguier – pour entrer en
ébullition et dire que ce calamiteux édit ne serait jamais par eux enregistré
et resterait lettre morte. Quant aux prêchaillons, n’osant s’en prendre
ouvertement au roi de peur de recevoir un billet leur commandant de quitter
Paris, ainsi que leurs bonnes et grasses cures, ils redoublaient d’attaques
contre les hérétiques, ne parlant de l’Édit que par prétérition. D’aucuns
à’steure tâchaient de soulever le peuple, laissant entendre, par une allusion
transparente à la Saint-Barthélemy, qu’il fallait à la France, de vingt-cinq
ans en vingt-cinq ans une bonne saignée, qui lui tirât du corps son sang
pourri ; à’steure s’efforçaient de ranimer les débris de la Ligue et
d’émouvoir le duc de Mayenne à en reprendre la tête, ce qu’il noulut du
tout ; à’steure même, osaient taxer le roi, mais à paroles chattemites et
couvertes, disant que la caque sentait toujours le hareng :
expression que le lecteur bien connaît pour l’avoir ouïe appliquée à moi-même,
mais à titre de tendre gausserie, par ma petite duchesse.
Mais il y avait bien pis. Et jà il n’était bruit à la Cour
comme à la ville que de certains gautiers ou guillaumes qui, la cervelle
aiguisée d’un faux zèle, montaient de province à Paris avec le propos de gagner
le ciel d’un coup par l’assassination du roi.
La résistance encharnée du Parlement à l’Édit – dont
Séguier était l’âme et qui lui valut plus tard d’être dépêché par Henri à
Venise comme ambassadeur de France, exil doré qui le
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