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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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carrée, mieux faite, à mon sentiment, pour
mordre des viandes que pour mâcheller des oraisons.
    Il me fit de prime de grands compliments, auxquels je
répondis d’un air poli et tranquille, toutefois en mon for intrigué assez, puis
il poursuivit en direction du chevalier ses civilités, mais d’un poil moins
profuses et moins humbles puisque, de toute évidence, il y a entre les
chrétiens des degrés à ménager, surtout quand l’un d’eux porte sur sa poitrine
le collier de l’Ordre du Saint-Esprit – lequel, de reste, témoigne moins
de sa haute spiritualité que de la faveur du roi.
    — Monsieur le Marquis, dit-il à la parfin, Pâques
approche, et comme je n’ignore pas que vous êtes accoutumé à vous confesser à
cette époque de l’année, j’ose quérir de vous si vous êtes toujours dans ces
mêmes dispositions ?
    — Comment ? dis-je béant. Dans ces mêmes
dispositions ? Et pourquoi donc en aurais-je changé ?
    Le curé Courtil rougit quelque peu à la vivacité de mon ton
et éleva en l’air ses deux mains, courtaudes et trapues, comme pour m’apazimer.
    — Ha ! dit-il, ce n’est que façon de dire !
Je ne me suis pas véritablement apensé qu’elles s’étaient modifiées. Monsieur
le Marquis, je vous fais toutes mes excusations si ma gaucherie a pu vous
offusquer. À vrai dire, je suis de présent dans une grande confusion, ne
sachant plus, dans le trouble des temps, qui est bon catholique et qui ne l’est
plus.
    À quoi, commençant à voir clair enfin dans ce grand
« trouble » et dans cette « confusion », je répondis
rondement :
    — Monsieur le curé, rassurez-vous. Tel vous m’avez vu
l’an dernier, tel je suis cette année. Et puisque vous voilà chez moi, afin que
de vous éviter d’y revenir, nous allons passer dans mon oratoire, et je vais
tout de gob me confesser à vous.
    Je m’attendais à quelque courtoise résistance, mais le curé
Courtil n’en fit pas l’ombre d’une et accepta mon offre avec tant
d’empressement que tout en lui récitant, dans mon oratoire, la litanie de mes
péchés – lesquels, pour ne rien te celer, lecteur, étaient toujours les
mêmes –, je me torturais fort les mérangeoises pour deviner quel petit
serpent se cachait sous sa visite. Je m’avisai à cet instant que si j’avais eu en
face de moi, non pas un prêtre, mais ma propre conscience, ce n’est pas tout à
fait des mêmes fautes dont je me serais accusé. Ainsi, au lieu de regretter de
m’être livré à l’œuvre de chair hors mariage (regret qui était de pure
routine), j’aurais dit mes remords de ne pas écrire davantage à mon Angelina
quand j’étais loin d’elle ; et quand j’étais à Paris, de ne pas l’aller
voir aussi souvent que je pouvais.
    Ma confession terminée, j’observai une fois de plus que
lorsqu’on attend une surprise et qu’elle survient, elle ne laisse pas pour
autant de vous étonner. Celle-ci, toutefois, était de taille : le curé
Courtil ne me donna pas l’absolution. Au lieu de cela, il posa à plat ses deux
mains sur ses genoux et me dit avec gravité :
    — Monsieur le Marquis, peux-je vous poser quelques
questions ?
    — Assurément, dis-je froidureusement assez. Et j’y
répondrai si je ne les juge pas contraires à mon honneur.
    — Bien le rebours, dit le curé Courtil. Monsieur le
Marquis, j’ai ouï dire que vous fûtes autrefois de la religion prétendue
réformée.
    — Pour être plus exact, dis-je, j’ai été élevé par ma
mère dans la religion catholique, converti de force par mon père au culte
calviniste à l’âge de dix ans, et sur mes vingt ans je décidai de revenir à la
religion maternelle.
    — Et fûtes-vous tenté, ces vingt ans écoulés, d’être
relaps ?
    — Nullement.
    — Monsieur le Marquis, avez-vous lu le livre de
M. Duplessis-Mornay sur la messe ?
    Comme le lecteur, se peut, se ramentoit, Duplessis-Mornay
était le « pape » des huguenots : surnom qu’il eût eu en grande
horreur s’il l’avait connu.
    — Nenni.
    Et décidé de m’ébaudir un peu aux dépens du bonhomme, je
l’envisageai de mon œil le plus bleu et demandai innocemment :
    — Pourquoi ? Faut-il le lire ?
    — Gardez-vous-en bien ! s’écria le curé Courtil
d’un air effrayé, avec un geste saccadé des deux mains, comme s’il repoussait
de lui cette pensée diabolique. Si vous l’aviez lu, je ne pourrais pas vous
donner, de présent, l’absolution.
    Nous y voilà,

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