La pique du jour
dans
le même temps, si puérilement paonnant et si insatiablement avide d’honneurs
que, ne pouvant porter autour de son col, étant huguenot, cette admirable
chaîne de l’Ordre, faite d’une concaténation de petites plaquettes d’or fort
bien ouvragées, lesquelles soutenaient une fort jolie croix ornée de perles
(qui certes n’évoquait en rien celle sur laquelle le Christ avait souffert), et
se trouvant inconsolable d’être privé, sa vie durant, de cet émerveillable
collier (qu’il vit plus d’une fois orner mon poitrail, ou quand je ne portais
que la croix, mon flanc, sur un fond de ruban bleu ciel), il avait imaginé de
s’en fabriquer une, qui lui fût unique et particulière, et qui était composée
d’une grande médaille d’or à l’effigie de Henri IV que celui-ci lui avait
donnée, laquelle il portait au bout d’une chaîne de même métal, se peut moins
travaillée que celle des chevaliers du Saint-Esprit, mais sans conteste plus
massive et plus lourde…
Peu après le 4 janvier, le roi, qui voulait battre le
fer pendant qu’il était chaud, et tandis que la victoire d’Amiens résonnait
encore dans l’Europe entière, départit avec 14 000 hommes pour faire
dégorger la Bretagne au duc de Mercœur. Et comme je n’avais jamais mis le pied
en cette belle province du royaume, je résolus, dès que j’eus employé mes
clicailles à acheter la terre sise entre La Surie et le Chêne Rogneux, de
suivre Sa Majesté, le chevalier m’accompagnant et une troupe de trente
cavaliers, fort bien montés, me servant d’escorte.
L’avance du roi désola les ligueux bretons et ranima le zèle
du maréchal de Brissac qui était censé les combattre. Mais le lecteur connaît
jà ce renardier gentilhomme qui, gardant l’œil toujours sur son particulier, ne
demeurait fidèle à un camp que si sa victoire lui paraissait probable. C’est
ainsi que, ligueux confirmé, il avait livré Paris au roi. Et envoyé par
Sa Majesté pour réduire la Bretagne, il n’avait combattu Mercœur que d’une
fesse, surtout après la prise d’Amiens par les Espagnols : le pouvoir de
Henri IV chancelant, il avait lui-même oscillé. Mais dès lors que le roi
avait triomphé de l’Espagnol, Brissac, éperonné, partit à l’assaut de Dinan et
en un tournemain saisit la ville et le château.
Rien ne réussit comme le succès. Après la reprise d’Amiens,
le renom d’invincibilité de Henri était tel qu’en sa marche vers la Bretagne,
il n’eut pas une seule fois à sortir l’épée du fourreau. Au fur et à mesure de sa
progression, les villes, bien avant qu’il ne les atteignît, lui dépêchaient des
députés pour le prier très humblement de les vouloir bien reconnaître pour ses
humbles sujettes. J’en donnerai entre cent un exemple : le roi n’était
encore qu’à Angers que jà Douarnenez se donnait à lui…
À Angers, précisément, il reçut la visite de la duchesse de
Mercœur – ou comme on l’appelait, du nom de son glorieux père, la
princesse Marie de Luxembourg – que le duc avait vaillamment dépêchée de
Rennes au roi pour négocier un accord avec Sa Majesté. Comme le roi, avant
de quitter Paris, avait dit qu’il réduirait Mercœur par la force ou par
l’amour, le duc avait été bien inspiré de lui déléguer sa femme, encore que
la princesse, qui était belle encore, maugré qu’elle eût jà trente-six ans,
n’eût pu supporter la comparaison avec la Gabrielle. Le roi lui rit un accueil
gracieux, gaussant et goguelu, et convint avec elle que le duc renoncerait à
son gouvernement de Bretagne contre la somme de 4 millions 295 000 livres,
mais comme, en même temps, le duc s’engageait à marier sa fille unique au petit
César (le fils que le roi venait d’avoir avec la Gabrielle), on pouvait espérer
que cette énorme fortune reviendrait un jour à un Bourbon, puisque l’enfantelet
avait été légitimé, et créé duc et pair de France.
Je vis plus d’une fois à Angers Marie de Luxembourg,
laquelle avait d’émerveillables yeux bleus dans un visage tirant quelque peu
sur le jaunâtre. Et, est-ce en raison de coloris malheureux ou de l’expression
pincée de ses lèvres, je confesse qu’elle ne me plut guère : je lui
trouvai de la morgue et je ne sais quel enchantement à suivre en tout son
intérêt. Je doute que le roi l’aimât davantage, et voici pourquoi.
Un jour que Sa Majesté s’ébaudissait, les ciseaux à la
main, à couper le
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