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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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tertre, apercevoir à l’horizon, noyés dans une brume grisâtre, les
murailles de Reims. Je commandai incontinent à l’escorte de mettre pied à terre
et de se décuirasser, ne voulant point apparaître devant Reims, armés la
guerre, afin qu’on ne nous tirât pas sus du haut des remparts.
    — Tudieu, mon frère ! dit Quéribus, voilà qui est
bel et bon ! Mais comment comptez-vous pénétrer en la bonne ville ?
    — Comme tout un chacun : en quérant l’entrant au
châtelet d’entrée.
    — Quoi ? Au risque de nous faire étriper dès
l’advenue, ou à tout le moins jeter en geôle pour tirer de nous rançon ?
    — En cette sorte de mission, dis-je avec un sourire, il
faut prou hasarder. Cependant, nous avons deux avantages : le premier,
c’est que vous êtes cousin du jeune duc de Guise, le second, c’est que je
suis porteur pour lui d’une lettre de sa mère.
    — Le premier, dit Quéribus, ne serait un avantage que
si Saint-Paul était gentilhomme. Mais un faquin de cette farine ne respecte pas
les liens du sang !
    — Et quant au second, dit
M. de La Surie, je gage que le Saint-Paul nous commandera, le
cotel sur la gorge, de lui remettre la lettre, et que sitôt lue, il la mettra
en pièces, et se peut, nous tuera ensuite, comme suppôts d’hérétiques.
    À quoi je ne répondis rien et allai presser l’escorte
d’achever le décuirassage et de se remettre en selle au plus vite, voulant
atteindre la ville à la pique du jour. À vrai dire, je me serais volontiers
attardé sur ce tertre, la brise y étant vive et faisant joliment trémuler les
petites feuilles neuves des peupliers. Tandis que les hommes se hâtaient et
qu’on attachait les cuirasses sur les mulets, je fis distribuer aux soldats pain
et vin, et leur recommandai de mettre un bœuf sur leur langue, de ne point
allumer les mèches des arquebuses et de montrer aux manants et habitants une
mine modeste et amicale, sans sourciller du tout, ni faire les bravaches, ni
mettre la main sur la poignée de l’épée. À la parfin, la dernière mule bâtée et
la dernière bouchée gloutie, je commandai le boute-selle, mais sans trompette,
et remontant moi-même, je gagnai les devants, Quéribus à ma dextre,
M. de La Surie à ma senestre, et tous trois au botte à botte.
    — Miroul, dis-je, à la réflexion, je m’apense que tu as
raison, il ne faut point parler de prime de la missive de la duchesse : ce
serait se fourrer de soi dans la nasse. Mais, par exemple, des immenses embarras
de pécunes de la dame et du secours que de son fils elle quiert, ce que le
prince de Joinville ne pourra que croire – lui-même, à ce que m’a dit le
roi, ayant quatre cent mille écus de dettes.
    — Cinq cent mille, dit Quéribus, qui lui ont été légués
par son grand-père et son père. Il en a coûté fort cher aux Guise d’avoir voulu
devenir rois de France.
    — Outre, dit Miroul, ce petit désavantage d’avoir été
l’un après l’autre assassinés.
    — Quant à cette lettre, repris-je, qui nous pourrait
elle aussi, expédier aux couteaux, je vais en disposer au mieux.
    Et les laissant tous deux cheminer au botte à botte vers
Reims, je trottai en fin de colonne jusqu’à Pissebœuf et, le tirant à l’écart,
lui dis en oc sotto voce :
    —  Pissebœuf, je suis porteur pour le jeune duc
de Guise d’une lettre de sa mère, laquelle, si elle tombait entre les
mains de Saint-Paul, lui ferait battre le briquet beaucoup trop près de la
poudre. Voudrais-tu t’en charger ? Il n’y a pas apparence que les ligueux
fouillent jamais un à un les quarante hommes de notre escorte.
    — Même alors, dit Pissebœuf, je défie bien qu’on la
trouve. Où est l’objet ?
    — Espère un peu que notre escorte ait rondi le tournant
que tu vois dret devant, afin que nul ne voie que je te le remets. Mais sais-tu
bien, toi, où le dissimuler ?
    — Cap de Diou ! dit Pissebœuf, je serais de
présent pauvre comme Job si je n’avais pas appris, après le combat, à mettre
mes petites picorées hors d’atteinte des voleries. Hé quoi !
poursuivit-il, quand, le tournant nous ayant dérobé aux vues, je lui eus remis
la lettre, ce n’est que cela ? C’est petite affaire. Les écus sont bien
plus mal aisés à dissimuler, étant lourds, brillants à la lumière et l’un sur
l’autre trébuchants.
    Ayant dit, nous rejoignîmes au salon le gros de l’escorte, où
Poussevent, quasi alarmé de l’absence de son

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