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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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mis Saint-Paul par un
subterfuge en possession de Reims. Raison pour quoi les Rémois, à la mort du
traître, en 93, avaient élu Rousselet que Saint-Paul tenait, à ce que j’avais
ouï, en grande suspicion.
    Ce bon Rousselet était un homme dont je dirais qu’il avait
les manières carrées et la charnure ronde, l’œil étant noisette et fort vif, la
face hâlée, mais tirant sur le rouge, et un air de gaieté qui m’agréa, car pas
plus que Henri Quatrième je ne suis raffolé des gens mélancoliques, me disant
que si un guillaume ne s’aime pas lui-même, comment pourrait-il aimer et servir
son prochain ? En bref, je trouvais ce Rousselet à mon goût et, obéissant
à mon instinct qui me disait d’avoir fiance en sa bonne face, je lui dis mon
nom et d’où je venais.
    — Mon Dieu, Monsieur le Lieutenant, ajoutai-je, que
d’embarras et de traverses pour admettre des Français naturels dans une ville
française ? Et qui plus est, un parent de votre gouverneur !
    — C’est que gouverneur, Monsieur le Marquis, le duc
de Guise ne l’est, hélas, que de nom, du moins tant qu’il n’aura pas
persuadé M. de Saint-Paul de retirer les deux cents Espagnols qu’il a
placés dans le Château de la Porte-Mars sous les ordres de quatre capitaines,
eux aussi espagnols. Tour que M. de Saint-Paul nous a contraints de
bâtir pour les loger, son intention étant d’en élever quatre autres aux quatre
portes de la ville pour y recevoir des garnisons de même farine. Dessein qui
nous alarme fort, nous, manants et habitants de Reims. Car si
M. de Saint-Paul y parvient, il pourra nous assujettir tout à plein à
son joug, qui n’est pas léger, et à celui de Philippe II, qui sera pis. Et
c’en sera bien fini alors des franchises de notre bonne ville.
    — Mais le duc, dis-je, n’est pas venu seul à Reims.
    — Bah ! dit Rousselet, avec une suite de soixante
hommes à peine ! Ce qui est peu pour rebuffer les deux cents arquebusiers
de la Porte-Mars, lesquels, en outre, sont espagnols : autant dire, les
meilleurs soldats au monde.
    — Monsieur Rousselet, dis-je, si j’entends bien les
propos que me tenez, vos milices bourgeoises pourraient, dans les occasions,
prêter la main à M. de Guise par haine de l’oppresseur.
    — Ha ! Monsieur le Marquis ! dit Rousselet en
secouant ses épaules rondes et en levant au ciel son œil noisette, mes
bourgeois de Reims sont de bons hommes assez pour tirer derrière de bons murs,
mais non point pour réganier l’infanterie castillane…
    — Toutefois, dis-je après un moment de silence,
l’escorte de M. de Quéribus, lequel est tout acquis à son cousin
de Guise, monte à quarante arquebusiers, ceux-là fort aguerris, lesquels
ajoutés aux soixante hommes de Mgr le duc…
    — Ha ! Monsieur ! dit Rousselet en secouant
la tête, vos quarante soldats ne viennent hélas ! ni à compte ni à
recette, vu que du commandement formel de M. de Saint-Paul, ils ne
recevront pas l’entrant dedans nos murs. D’ores en avant, nul ne pénètre ici
qui ne soit espagnol ! Et c’est à peine si M. de Saint-Paul consentira
à entrebâiller la porte piétonnière à M. de Quéribus, à vous-même, et
à deux ou trois de vos gens.
    — Cornedebœuf ! criai-je, quelle tyrannie !
    Mais je ne pus en dire davantage, car on toqua à la porte,
et le sergent qui m’avait admis dedans les murs, passant sa tête par l’entrebâillure,
dit d’une voix haletante :
    — Monsieur le Lieutenant, voir venir le baron de La
Tour !
    — Déjà, Tudieu ! s’écria Rousselet en se levant,
l’œil effaré assez, Monsieur le Marquis, poursuivit-il à voix basse, prenez
grand’garde à ce La Tour. Tout vrai baron qu’il soit, il est à
M. de Saint-Paul. Et comme lui vrai Espagnol, quoique Français.
    Il achevait quand, sans toquer le moindre, ce La Tour entra,
la crête haute, l’œil sourcilleux, et le chapeau imperturbablement sur la tête,
tandis que nous le saluions, Rousselet et moi. Outre ce peu gracieux accueil,
le discourtois guillaume me déplut de prime, non que sa face fût laide, mais
elle portait cet air d’insufférable arrogance que d’aucuns de nos archiligueux
empruntent aux maîtres espagnols dont ils se sont faits les valets.
    — Monsieur le Baron, dit Rousselet, ce gentilhomme est
de la suite du marquis de Quéribus, lequel est un cousin de Mgr le duc
de Guise, et demande l’entrant pour lui-même, ses gentilshommes et

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