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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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le
cœur me toquant, la tête me clochant, et le sang courant plus jeune et plus vif
par toutes les avenues de mon corps, je courus à la fenêtre à demi vêtu, et
tâchai d’apercevoir la sirène qui m’enchantait. Et ne voyant rien devant moi
qu’une large place où roulaient des charrois, je conclus, en me penchant hors,
que le rossignol qui me charmait était perché dans les appartements dessous le
mien, son chant me parvenant par ses propres verrières, elles aussi au soleil décloses.
    L’ouïe alerte, j’achevai d’endosser ma vêture –
laquelle, pour honorer le duc, se trouvait la plus belle de celles que j’avais
emportées, le pourpoint étant de satin bleu pâle garni de deux rangées de
perles – et l’esprit de présent moins occupé des périls de l’heure
(lesquels pourtant n’avaient point décru) que charmé par la mélanconique
chanson de l’inconnue, je me mis à rêver furieusement, étant bien assuré qu’en
ce qui la concernait, cette émerveillable voix ne pouvait saillir que de la
plus belle des gorges. Ainsi va trottant toujours l’imagination des hommes qui
sont du sexe raffolés : je le dis sans vanterie et sans mea culpa, bien
persuadé que je suis, que si l’on me mettait la tête sur le billot – comme
cela se pourrait bien arriver ici même à Reims – je ne faillirai pas,
marchant ès rues à mon dernier supplice, les mains liées derrière le dos,
d’avoir l’œil accroché, au mitan des badauds, par une face fraîchelette et un
tétin rondi.
    J’en étais là quand la porte de ma chambre s’ouvrit.
    — Moussu, dit Pissebœuf, derrière lequel le
bedondainant Poussevent soufflait de l’exercitation qu’il s’était donnée à
gravir les deux étages, j’ai tout le nécessaire.
    — Qu’est cela ? dis-je, béant. Je ne vois qu’un
peu de farine, un fort papier, et un fil de fer.
    — Moussu, c’en est assez, dit Pissebœuf ajoutant :
«  Credite mihi experto [7]  »,
car il se piquait fort de son latin, ayant été clerc, comme j’ai dit, avant que
de tourner huguenot et de choisir le métier des armes.
    — Monsieur le Marquis, dit un des gentilshommes de
Quéribus en apparaissant à ma porte, un capitaine espagnol vient d’annoncer en
son jargon l’arrivée de Monseigneur le duc, et Monsieur votre frère requiert
votre présence.
    — La merci à vous, Monsieur, dis-je civilement.
Pissebœuf, clos bien l’huis sur moi et vaque à ton affaire.
    Cependant, avant de passer le seuil, je me bridai et tendis
l’ouïe et la tendis en vain. Luth, viole et chant, tout s’était tu.
    Le plumage de Quéribus, mon beau muguet de cour, dépassait
le mien en splendeur, comme le lecteur bien s’en doute, et dès que je fus à sa
dextre, il fit placer les deux gentilshommes derrière nous, se désolant de
cette tant maigre et mesquine suite qu’il tenait à déshonneur, étant un homme
tout entier du règne précédent (dont il avait gardé le langage), aimant la
pompe et la cérémonie, et trouvant fort à redire à la rugueuse simplicité de
Navarre.
    — Messieurs, dit-il, j’enrage de ne pas recevoir le duc
plus dignement ! En ma conscience ! Il en faudrait mourir ! (Ces
expressions qu’il prononçait d’une voix aiguë et flûtée ayant été sous
Henri III, à la mode qui trotte.) Deux gentilshommes pour deux
marquis ! Tudieu ! Cela est beau ! Vous pouvez croire que
jusqu’à la fin du temps je garderai une fort mauvaise dent à ce faquin de basse
maison qui ose se dire duc du Rethelois ! Le pis étant, à mes yeux, que,
grâce au Balafré, il a pu épouser une Demoiselle de très bon lieu, belle comme
les amours, riche comme Crésus et de manières parfaites.
    — La connaissez-vous ? dis-je avec un sourire.
    — Nenni ! Mais de ses parents, elle est Caumont.
    — Quoi ? criai-je, une Caumont ! Une Caumont
du Périgord ?
    — Je le crois.
    — Mais dans ce cas, dis-je, ma mère étant aussi
Caumont, elle serait donc quelque peu ma parente ?
    — Cela vous fera une belle gambe ! dit Quéribus,
fort en groigne. En ma conscience, vous ne la verrez mie ! Le
Saint-Paul est jaleux comme Turc et, dit-on, cloître la pauvrette au logis.
Messieurs, poursuivit-il en s’adressant aux gentilshommes qui, à eux deux,
faisaient toute notre suite, de grâce faites comme moi, mettez vos chapeaux,
afin que de les pouvoir comme moi retirer quand le duc entrera, et
ramentez-vous, je vous prie, que le duc étant duc, et prince de

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