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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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en
souriant pour la première fois, mais avec un sourire qui me parut plus menaçant
encore que sa hargne.
    Ce n’est pas que les appartements où il nous avait mis
fussent mesquins ou manquassent des commodités que commandait notre rang, le
seul désavantage étant d’évidence que nous n’en pouvions bouger mie, comme je
m’en assurais, aussitôt que La Tour fut départi, en saillant hors sur le palier
de l’escalier, où je m’encontrai cara a cara [6] avec une
bonne douzaine de hallebardiers espagnols, dont le sergent me dit civilement
assez dans sa parladure qu’il avait ordre de ne point nous laisser passer. Et
comme pour sauver la face, je m’enquérais de lui au sujet de Pissebœuf et
Poussevent, le quidam me dit qu’ils étaient aux écuries à panser nos chevaux et
qu’il me les enverrait dès leur tâche achevée.
    Je retournai donc dans notre geôle dorée, et trouvant que
mon Quéribus, muet de rage, faisait cependant toilette, aidé de ses
gentilshommes, afin que d’accueillir dignement la visite du duc de Guise,
je décidai de l’imiter et le laissant, passai dans ma chambre, laquelle faisait
l’angle du bâtiment, et comportait en un de ses coins un gros arrondi qui me
parut annoncer à l’extérieur une sorte de tour dans laquelle un viret devait
mener à l’étage au-dessous, et se peut au rez-de-chaussée. Ce qui me conforta
dans cette idée fut la petite porte basse en anse de panier que j’aperçus au
milieu de l’arrondi que j’ai dit, laquelle était en chêne vieilli, aspé de fer.
L’ayant en vain secouée, j’en conclus qu’elle était fermée à clef de
l’extérieur, et assurément regrettai de n’avoir point emporté un pétard avec
moi, lequel eut fort bien fait mon affaire en ce prédicament, encore que la
noise et vacarme eût mis à nos trousses la bonne vingtaine de soldats espagnols
qui gardait l’ensemble du logis. C’est du moins le chiffre que me donna
Pissebœuf, quand il revint des écuries, opinant en oc, que même pour des
vaillants comme nous les bélîtres étaient trop. Là-dessus, voyant que je me
dévêtais, il s’offrit à me servir de chambrière, fonctions dont il s’acquitta
de son mieux, faillant toutefois de fort loin à égaler ma frisquette Guillemette,
laquelle m’égayait, ce faisant, de ses mignonneries et de ses taquinades.
    Toutefois, il ne laissait pas que d’avoir l’œil aux
alentours, et il vit bien que le mien souvent tournait du côté de la petite
porte basse qui s’ouvrait dans l’arrondi que j’ai dit.
    — Moussu, dit-il en oc, il y a là un viret.
    — Oui-da ! dis-je. Le hic est que la porte est
close !
    — À verrou ou à clef ? dit Pissebœuf d’un air
sagace.
    — Je ne sais.
    — Moussu, c’est que cela fait toute la différence,
comme disait la femme du ferronnier, quand en l’absence de son mari elle se
faisait limer la serrure par un guillaume des mieux membrés.
    Ce disant, il lâcha tout de gob l’extrémité de mes chausses,
et me laissant les enfiler seul, il tira vers ladite porte, et se penchant, y colla un œil, puis l’autre, et se relevant, me dit d’un air triomphant.
    — Moussu, espérez un petit. Je me fais fort de la
déclore.
    — Vramy ?
    — Vramy ! Comme disait le maître-menuisier
Tronson : elle n’avait pas soulevé le pied que jà je lui voyais la
semelle.
    — C’est de la serrure que tu jases ainsi ?
    — Oui-da ! D’elle-même ! Moussu,
poursuivit-il avec un air d’immense piaffe, Pissebœuf ne serait plus Pissebœuf
s’il se laissait rebuffer par une petite serrure de merde. Moussu, comment se
dit en espagnol : il me faut retourner à l’écurie ?
    —  Tengo que regressar a la
caballeriza.
    —  Moussu, avec votre permission et celle de nos
geôliers, j’y va ! Et serai de retour avec ce qu’il me faut en un
battement de cil.
    Lequel battement dura bien dix bonnes minutes, au cours
desquelles survint un incident qui changea mes pensées, car de la fenêtre à
meneaux, que j’avais dès l’entrant ouverte à une belle matine tissée de soleil
(comme l’avaient laissé prévoir les brumes de la pique du jour) me vint,
accompagné des accords d’une viole et d’un luth, un chant féminin tant frais et
délicieux que le plus babillard gazouil d’un ruisseau doux-coulant. Ayant la
tête toute chaffourrée des gazouil traverses de notre prédicament je m’en
sentis d’un coup délivré et nettoyé par ces cristallins accents. Et ravi,

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