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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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suspicionneux,
toutefois point tant cruel que déprisant de tout le genre humain. Et qu’il
fallût au guillaume peu de scrupules et prou d’audace pour archiducher le vrai
duc, gouverner son gouverneur, et séquestrer la parentèle dudit, voilà qui me
laissait songeard sur ce qui pourrait nous advenir céans…
    Je sentis bien, tandis que je discourais, que le Saint-Paul
buvait mes compliments et ma déférence comme petit-lait, mais sans en être
cependant aveuglé, son œil renardier ne cessant de scruter le mien. Et à peine
eus-je fini de dévider mon courtois cocon qu’il dit d’une voix nasale, et sur
un ton abrupt et militaire :
    — Monsieur, nous sommes en guerre. Vous venez du camp
ennemi. Vous servez le roi de Navarre. Pour moi, jouissant de l’entière
confiance de la Sainte Ligue et de Philippe II, nommé par le duc de
Mayenne lieutenant général de Reims et de la Champagne, je suis, en fait, le
maître dans la bonne ville, puisque je commande à la garnison espagnole qu’il
m’a plu d’y introduire. Je suis donc en droit de quérir de vous ce que vous
venez faire céans.
    — Mais Monsieur le Maréchal de France, dis-je le plus
doucement que je pus, n’est-ce pas à Monseigneur le duc de Guise, à savoir
au gouverneur de Reims, de quérir cela du marquis de Quéribus, lequel, au
surplus, est son parent ?
    — Nenni, Monsieur, dit Saint-Paul d’un ton coupant, et
en levant fort haut la crête. Chez qui êtes-vous logé à Reims ? Je vais
vous le dire : chez moi ! Qui vous garde ? Mes hallebardiers.
Qui commande à Reims intra-muros et extra-muros ? Moi ! À qui obéit
la milice ? À moi ! Qui occupe le Rethelois dont je me suis fait le
duc ? Moi, encore ! Moi, qui ne suis ni l’ami ni le parent du marquis
de Quéribus.
    Ici Quéribus fit entendre sur son cancan une sorte de
groignement, mais comme je me retournai pour lui jeter un œil objurgateur, il
ferma sagement le sien (qui jetait des flammes) et retourna à son évanouissou.
    — Monsieur le Maréchal, dis-je, je suis béant que le
duc de Guise, qui est le rejeton d’une très grande famille et le neveu du
duc de Mayenne, compte si peu pour vous…
    — Il compterait prou, dit Saint-Paul sèchement, si sa
mère ne s’était pas ralliée à Navarre et ne travaillait, à ce que je crois, à
raccommoder son fils à lui. Monsieur, reprit-il en fichant son œil noir et
brillant dans le mien. C’est assez finaudé ! Je vous parlerai sans
feintise : est-ce pour cela que vous êtes céans ?
    L’avantage d’un œil bleu, c’est qu’il peut exprimer, dans
les occasions, une extraordinaire innocence, et la Dieu merci, le mien, en
l’occurrence, ne me faillit pas.
    — Monsieur le Maréchal ! m’écriai-je, mais point
du tout ! C’est là une étrange méprise ! Nous sommes céans pour
délivrer au duc de Guise, de la part de sa mère, un message qui n’a rien à
voir avec les affaires du royaume, mais touche, si j’ai bien entendu, les
grands embarras de pécunes de M me  de Guise.
    — En ce cas-là, Monsieur, dit Saint-Paul avec un regard
fort pointu, vous n’aurez aucune objection, j’ose croire, à ce que mon
capitaine espagnol vous fasse fouiller après mon départir, afin d’acertainer
que vous n’avez point sur vous de missive, message, ou document dont la Sainte
Ligue pourrait s’alarmer.
    — Nous fouiller, Monsieur le Maréchal ! dis-je,
comme indigné.
    — Vous m’avez ouï, Monsieur ! dit Saint-Paul, ces
quatre mots dans sa bouche claquant comme balles de mousquet.
    Là-dessus, avec un salut des plus brefs, il tourna les
talons et s’en fut, carrant les épaules, et faisant sonner ses bottes sur le
carreau, le baron de La Tour suivant comme chacal sur les traces d’un lion. La
porte close, je me jetai sur Quéribus et lui mis la main sur la bouche.
    — Pour l’amour de Dieu, lui dis-je, à l’oreille, ne
dites rien ! Cette porte a des oreilles. Il y va de notre vie !
    Il me signifia de l’œil qu’il avait entendu mon propos, et
je le lâchai, non sans qu’il eût quelque peu mordu ma paume pour se revenger de
ma petite violence. C’était là mon Quéribus tout crachi-craché : À
quarante ans passés, joueur comme un chaton.
    — Monsieur, me dit-il d’une voix mi-fâchée mi-amusée,
n’avez-vous point honte et vergogne d’appeler ce maraud « Monsieur le
Maréchal de France » ?
    — Ha bah ! dis-je, j’appelle maréchal quiconque a
le pouvoir de me

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