La pique du jour
Tant est que se trouvant désarmé, et le baron de La Tour
courant sus à lui, la lame haute, il aurait été à son tour percé, si ma lame
n’avait pas jailli de son fourreau et n’avait pas toqué et détourné la lame du
baron avec qui, incontinent, je me mis à ferrailler, tandis que Quéribus,
d’Aubeterre et d’Esparbès, dégainés, entourèrent le duc pour le protéger, et
que Pissebœuf et Poussevent, entraînant le reste de sa suite, affrontaient les
Suisses, lesquels les eussent taillés, je crois, s’ils n’avaient été si
déconcertés par ce soudain chamaillis entre leur duc et le nôtre qui, l’instant
d’avant, oyaient la messe côte à côte, se baillaient main à main de l’eau
bénite, et marchaient sur le chemin, l’un à l’autre accolés. Aussi bien les
Suisses firent-ils une sorte de combat en retraite jusqu’à la maison de
Saint-Paul où, se faisant déclore la porte piétonnière, ils se réfugièrent.
Pendant ce temps, je fus heureux assez pour faire sauter
l’épée du baron à deux toises, et Miroul courant tout de gob mettre le pié
dessus, le guillaume tourna le dos et s’ensauva, non sans que je lui eusse fait
une petite conduite en lui piquant par gausserie le gras de la fesse, mais rien
de plus, ne voulant pas me mettre sur la conscience une meurtrerie de plus.
Nous nous crûmes maîtres du terrain : en quoi nous
errions prou, car les Espagnols cantonnés en le logis de Saint-Paul, ayant
appris son assassination des lèvres des Suisses, et entreprenant de le venger,
saillirent dudit logis et nous eussent sous le nombre accablés, si la suite de
Mayenne n’était advenue à rescous, ainsi que le populaire, lequel, au bruit que
Saint-Paul était mort, releva la tête, s’arma en un battement de cil et vint
nous prêter main-forte. Tant est que les Espagnols à la parfin s’escargotèrent
dans leur logis, hissèrent le drapeau blanc, et quirent de se retirer, armes et
bagues sauves, au château de la Porte-Mars : ce qui, sur le conseil du
sage Péricard, leur fut accordé, nos hommes les escortant jusque-là pour les
préserver des griffes de la commune, dont le zèle, une fois le tyran mort, ne
connaissait plus la bride.
Retiré en son logis après ces échauffourées, le duc
de Guise convia ses gentilshommes et nous-mêmes à partager ses coupes et
reçut les plus délirants compliments, auxquels il va sans dire que je joignis
les miens, encore que je m’étonnasse en mon for que ce qui passait pour crime
chez un gentilhomme – dépêcher un adversaire avant qu’il ait pu
dégainer – devînt vertu chez un duc. Par le fait, les langues, dans
l’éloge de cet émerveillable exploit, allaient si bon train et si loin qu’à peu
qu’on ne considérât que le duc avait fait presque trop d’honneur à Saint-Paul
en lui passant à travers le corps son épée princière.
C’est du moins ce que laissa entendre Mayenne, quand il
advint à la fin des fins, bedondainant et majestueux, les laquais lui apportant
aussitôt un cancan dans lequel il carra son énorme chamure, y siégeant comme
sur un trône, entouré tout de gob avec respect par tous les nobles
guisards : encens qui titillait ses puissantes narines, le
« lieutenant général » se prenant pour le roi de France (dont il
assurait, à vrai dire, les fonctions dans les villes aux mains de la Ligue), à
telle enseigne que lorsque les États généraux, croupions réunis à Paris,
avaient, sur l’instigation espagnole, élu roi le jeune duc de Guise, il
avait pris son neveu en grande jaleuseté et détestation, haine qui n’avait
cessé qu’après que la prise de Paris par Henri Quatrième eut achevé de tuer
dans l’œuf ce titre ridicule.
— Mon bien-aimé neveu, dit-il, dès qu’il eut pris place
sur le cancan, n’a fait que châtier la présomption et l’arrogance de
Saint-Paul. Et pour moi, je ne regrette qu’une chose : c’est que le goujat
soit mort par la main d’un prince, et non pas d’un bourreau.
On pouvait s’étonner après cela qu’il n’eût rien fait
lui-même pour débarrasser son « bien-aimé neveu » de ce goujat (qu’il
avait nommé maréchal de France). Pour moi, il ne m’échappait pas que cette
neutralité avait pour lui l’avantage de se faire blanc comme neige aux yeux de
ses alliés espagnols, qui de toute évidence allaient prou jérémier sur le
dépêchement de Saint-Paul et d’autant que Guise, maintenant qu’il était le
maître en Reims, ne
Weitere Kostenlose Bücher