La pique du jour
serrant le coude sous le sien, lui dit à
voix basse :
— Je le connais. Il est où il doit être.
D’Aubeterre me jeta alors un œil plus attentif, me reconnut
et s’accoisa. Ce qui fit que d’Esparbès, à son tour, me reconnut aussi, et regardant
en arrière et observant combien M. de La Surie et nos hommes
nous suivaient de près, dit à voix basse :
— Nous sommes bien peu. Où est Mayenne ?
— Il est demeuré en l’abbaye, dit Quéribus, pour
s’entretenir avec sa tante.
— Tiens donc ! dit d’Esparbès entre ses dents. Le
vieux renard se garde d’apparaître en cette affaire.
Mais d’Aubeterre, du regard, lui ayant commandé le silence,
d’Esparbès s’accoisa et nous pûmes ouïr ce qui se disait entre les ducs, tandis
qu’ils cheminaient dans la direction du cloître Notre-Dame, à la maison duquel,
comme j’ai dit, le logis de Saint-Paul était accolé.
À en juger par l’attitude des deux seigneurs, l’entretien,
durant ce long chemin, paraissait amical, le duc de Guise poussant même la
condescension jusqu’à appuyer familièrement en marchant sa main senestre sur
l’épaule de Saint-Paul. Mais pour moi, ayant soufflé ce qu’on sait pendant la
messe dans l’oreille de Péricard, j’entendis bien la raison de cette
affectueuse palpation. Et je me dis incontinent que je n’allais pas tarder à
savoir, par le tour quiet ou tracasseux que l’entretien allait prendre, ce que
Guise en avait conclu. Et point déçu ne fus, pour ce que les voix de nos deux
amis se mirent tout soudain à monter.
— Ma taille, dit le duc de Guise, je te prie,
donne ce contentement au peuple : fais sortir de la Porte-Mars les
garnisons espagnoles.
— Mon maître, dit Saint-Paul roidement, cela ne peut se
faire et cela ne se fera point.
Un silence tomba qui eût pu faire croire que Guise digérait
cette rebuffade sans réagir, alors que dans la réalité des choses, comme la
suite bien le montra, il gardait son vinaigre dans un coin de la bouche pour en
rincer sa colère et la garder fraîche.
— Ma taille, reprit-il au bout d’un moment sans se
départir de son ton amical, tu n’aurais pas dû en premier lieu augmenter la
garnison sans mon avis.
— C’était mon devoir, repartit roidement Saint-Paul. Je
devais, en votre absence, pourvoir aux sûretés de la ville.
Derechef, un silence tomba et j’entendis mieux l’arrogance
de Saint-Paul et les raisons de son inflexibilité : il s’apensait que
Mayenne, demeurant en retrait, et n’appuyant pas les demandes de son neveu,
resterait neutre en l’affaire. Et quant au seul neveu, il y avait apparence
qu’il devait dépriser ce béjaune, ce morveux sans nez qui n’avait jamais
hasardé ses moustaches sur un champ de bataille. Saint-Paul raisonnait en
soldat. Sa suite valait bien celle du prince, et quant à lui, il valait bien
dix petits Guise, l’épée au poing.
— Avant que de le faire, reprit le duc d’une voix plus
incisive, tu aurais dû prendre mes ordres.
Si Saint-Paul avait eu autant de finesse qu’il avait de
vanité et de fiance en soi, il eût dressé l’oreille à ce ton nouveau. Mais une
fois de plus, il ne vit dans le duc qu’un muguet de cour qui voulait faire le
petit glorieux avec un vieux soldat : il n’y avait qu’un remède à
cela : c’était de prendre ledit morveux par le bec et de lui mettre le nez
dedans son bren. Ce qu’il fit sans tant languir.
Il arrêta sa marche et, la crête haute, les épaules carrées,
bien campé sur ses gambes musculeuses, il dit :
— Un Maréchal de France n’a pas à prendre les ordres
d’un gouverneur de province. C’est tout le rebours.
Là-dessus, pour appuyer son dire, il mit la main sur la
poignée de son épée, mais sans intention de la tirer du tout, j’en jurerais.
Cette esquisse de geste, toutefois, suffit. Le petit duc, blanc de rage, recula
d’une demi-toise. Avec une rapidité inouïe, il dégaina et dans un assaut aussi
furieux que précis, perça Saint-Paul de part en part sous la mamelle gauche.
Saint-Paul hoqueta, aspira l’air violemment de ses lèvres trémulentes et chut.
Il était mort.
Ce qui suivit fut si confus et rapide que je ne suis pas
certain d’en dire ma râtelée sans être contredit par d’autres témoins de cette
scène. Bien cependant me ramentois-je que Guise fut si béant de voir tomber
Saint-Paul, qu’il lâcha la poignée de son épée, laquelle resta fichée dans le
corps du gisant.
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