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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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terrifiée.
    — Pourquoi ? T’y a-t-on mise à la question ?
    — Point du tout. Dans la chambre des méditations, personne
ne vous fouette. Et personne ne vous toque, même du bout du doigt. On y est
seul, mais les quatre murs y sont peints de haut en bas, en grandeur nature, et
avec un émerveillable relief, de diables effrayants, occupés à tourmenter les
damnés de l’Enfer, ces personnages, le jeûne aidant, paraissant s’animer de par
la flamme dansante des lanternes fichées dans les murs de place en place. Mais
le terrible, c’est qu’ils parlent.
    — Ils parlent ?
    — Oui-da ! Je les ai ouïs de ces oreilles que
voilà ! Je les ai ouïs chuchoter, murmurer, gronder et ricaner. Et quant
aux damnés, je les ai entendus se plaindre à fendre le cœur, les voix venant
des quatre coins de la pièce en de piteux gémissements. Mais le pis de la
chose…
    — Quoi ? Pis encore ?
    — Oui-da ! Le pis était que tout soudain, dans le
silence revenu, une grande voix s’élevait qui emplissait la pièce d’une
effroyable noise et m’admonestait de me repentir si je ne voulais pas subir,
moi aussi, jusqu’à la fin des temps, les plus cruels supplices.
    — Que voilà, dit La Surie, un aimable sujet de
méditation, et aussi de bonnes sarbacanes, pratiquées dans les murs pour y
porter les voix déguisées des bons pères.
    — Holà ! dit Fogacer en levant son sourcil, c’est
avoir un vrai cœur de pierre et un esprit impie que de n’être pas touché par
les plus évidents miracles.
    — Jeannette, dis-je, qu’avais-tu fait pour mériter
pareil châtiment ?
    — J’avais quis du recteur, coram populo [23] , pourquoi, dedans le collège, on ne
priait pas pour le roi de France, puisqu’il s’était converti et avait recouvré
sa capitale ?
    — Et que te fut-il répondu par le recteur ?
    — Que le démon parlait par ma bouche ; que la
conversion de ce bouc puant de Béarnais n’était que fallace, duperie et
tromperie ; que quand même le Béarnais boirait toute l’eau bénite de
Notre-Dame, il n’en pisserait pas plus roide : personne ne croirait à sa
sincérité. Que, de reste, le pape ne l’avait pas absous et ne l’absoudrait
mie ; que c’était un blasphème seulement de penser que le pape le pourrait
jamais recevoir en le giron de l’Église, et que, quand bien même un ange de
Dieu descendrait du ciel pour dire au pape : « Reçois-le », les
gens de bien tiendraient cette ambassade pour éminemment suspecte.
    — Sont-ce là ses paroles ?
    —  Verbatim [24] .
    —  Et en fus-tu persuadée ?
    — Point du tout, dit Jeannette. Je trouvai étrange que les
bons pères prétendissent être meilleurs catholiques que les évêques qui avaient
converti Henri Quatrième, mais, trouvant ligués contre moi le recteur, les
régents et tous les écoliers, je fus terrifiée à l’idée de retourner dans la chambre
des méditations. Aussi, je calai la voile, et je confessai mes erreurs.
    — Que se passa-t-il alors ?
    — Je fus autant fêtée, affectionnée et caressée que la
brebis perdue du Saint Livre, mais le charme était rompu pour moi. Ce n’était
point que je n’aimais plus les bons pères, leur ayant (et à ce jour encore) une
immense gratitude pour leurs bonnes leçons. Mais d’ores en avant, je me sentis
épiée et suspecte, et quand le révérend docteur médecin Fogacer, en sa grande
condescension, me voulut prendre à son service, je ne fus que trop heureuse de
le suivre.
    Ayant dit, Jeannette nous fit une révérence empreinte d’une
gracieuse gaucherie, et s’ensauva.
    — Voilà, dit La Surie, une chambrière fort
instruite et qui vous baragouine le latin tout comme un clerc.
    — C’est son latin, dit Fogacer sans battre un cil, qui
de prime m’attacha à elle.
    — Je l’ai bien ainsi entendu, dit La Surie,
lequel, toutefois, à me voir soucieux et tracasseux, ne poussa pas plus avant
ce petit badinage.
    — Eh bien, Fogacer, mon ami, dis-je, voyant qu’ils s’accoisaient
tous deux en m’envisageant, est-ce là, comme les langues d’Ésope, le meilleur
et le pire des jésuites ?
    — C’est bien le meilleur, dit Fogacer, mais ce n’est là
qu’une petite partie du pire. Cependant, pour le pire, ajouta-t-il en arquant ses
sourcils, n’espérez point de moi que je m’y attarde plus outre, étant pétri de
charité chrétienne et ne voulant penser que du bien de mon prochain. Au
demeurant, je ne redoute rien

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