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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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davantage que les dévots, cagots et bigots, les
tenant pour gens implacables, et même hors de leurs oreilles et avec mon plus
cher, intime et immutable ami, je ne saurais médire d’eux. Mi fili, pour
le pire, quérez, je vous prie, son opinion de plus fol que moi.
    — Pierre de L’Étoile ?
    — Que nenni ! Touchant les jésuites, et tout grand politique qu’il soit, L’Étoile est prudent assez. Je pensais plutôt à ce
grand avocat qui doit plaider contre la sacrée compagnie la cause de la
Sorbonne.
    — Antoine Arnauld ?
    — Celui-là même.
    J’avais le propos de visiter Maître Antoine Arnauld dès le
lendemain, mais ne le pus, ayant reçu sur le coup de dix heures un impérieux
poulet de la duchesse de Guise, lequel était écrit de sa main et couché en
sa singulière orthographe :
     
    Meusieu,
     
    Je vou veu mal de mor de me négligé come vou fête. Vouz aite
en Paris de troi joure, et de vizite de vou poin ! Que si vou ne vené vou
jeté à mé pié ce joure mèm à on zeure, vou ne pouré plus jamé vou dir mon
dévouai serviteure.
    Cahterine,
    Duchesse de Guise.
     
    Encore que ce billet fût dans les apparences comminatoire,
toutefois, ma vanité y trouva sa provende, la petite duchesse me relançant,
sans qu’il y eût la moindre nécessité à notre entretien. Tant de temps, en
effet, s’était écoulé depuis que j’avais quitté Reims pour courre guerroyer à
Laon qu’assurément elle savait par les courriers à quoi s’en tenir sur ce qui
s’était passé entre Saint-Paul et son fils Charles et entre celui-ci et le roi.
De reste, M me  de Guise avait dû de soi sentir qu’elle
s’avançait prou dans ce mot, si sévère dans sa formulation mais si doux dans
son fond, puisque n’osant pas le dicter à un secrétaire, elle l’avait graffigné
de sa main potelée, mais malhabile.
    Cependant, c’est, comme bien on pense, avec une contrefeinte
humilité et toutes les apparences du remords (dont elle ne fut pas dupe) que je
me présentai à elle sur le coup de onze heures (on zeure, selon son
style) et profitai de l’élan de ma repentance pour me jeter à sé pié, lui
prendre les deux mains et les couvrir de mes baisers contrits.
    — Ha ! Madame ! dis-je, je serais dans la
désolation si vous endurcissiez durablement votre cœur contre le plus dévoué et
le plus aimant de vos serviteurs.
    — Aimant est de trop, Monsieur, dit la petite duchesse
avec quelque semblant de hautaineté, mais en ne faisant que des efforts très
faibles pour me retirer ses deux mains qu’entre deux paroles je poutounais à la
fureur. Allons, Monsieur, reprit-elle, je me vais fâcher à la parfin.
Rendez-moi mes mains et, je vous prie, asseyez-vous là sur ce tabouret et
expliquez-moi comment il s’est pu faire qu’advenu en Paris ces trois jours
écoulés, c’est meshui seulement, et sur mon commandement que vous me
visitez !
    — Madame, dis-je, contrit et l’œil baissé, vous m’en
voyez au désespoir, mais le roi, à mon départir de Laon, m’a chargé d’une
mission secrète qui ne souffrait pas de délaiement. Cependant, je me préparais
à vous écrire pour vous quémander un entretien quand votre querelleux billet
m’a atteint.
    — Querelleux, Monsieur ! s’écria-t-elle avec un
retour de sa hautaineté, avez-vous le front de l’appeler querelleux ? Ne
savez-vous pas que je ne peux quereller que des personnes de mon rang ?
    — Madame, dis-je avec un salut, il est bien vrai que je
suis né quelque peu en dessous de vous. Mais peux-je dire sans être accusé
d’effronterie que ce n’est point tant votre rang qui m’éblouit céans que votre
sublime beauté.
    Elle fut tout ensemble si étonnée, si offusquée et si ravie
par l’audace de ce compliment qu’elle demeura un moment sans voix. Et moi,
m’accoisant aussi, laissai mon regard se promener sur ses attraits avec plus
d’éloquence que mes paroles. Et à dire tout le vrai, je n’avais guère à me
forcer, tant les avances qu’elle m’avait faites me la rendaient aimable. En
outre, maugré qu’elle fût petite, elle s’encontrait mince et bien rondie,
frisquette et pétulante, l’œil bleu lavande et quasi naïf en sa franchise, une
bouche suave, et de très beaux cheveux blonds drus et abondants, descendant en
mignardes bouclettes sur son cou mollet.
    — Monsieur ! s’écria-t-elle sourcillante, mais
l’œil beaucoup plus doux que ne l’était son sourcil irrité, à la vérité, je

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