La pique du jour
rêver en entrant rue
Saint-Jacques chez les bons pères, lesquels étaient bons, assurément, fort
attentifs à chacun, et véritablement paternels. À telle enseigne qu’ils
aimaient mille fois mieux encourager que punir, le fouet étant fort rare chez
eux et donné non par eux-mêmes mais par le bedeau, duquel ils modéraient les
coups, et souvent en raccourcissaient le nombre, s’attirant par là la gratitude
de ceux-là mêmes qu’ils avaient punis. Mais dès qu’on faisait mieux, ha !
Monsieur, que d’éloges, que de doux regards et que de distinctions : des
rubans d’honneur, des croix, des médailles. Et toute une hiérarchie de grades
empruntés à l’armée de la Rome antique, dont nous étions à vrai dire fort
friands decurion, centurion, primipile, imperator !
— Jeannette, dis-je en souriant, fus-tu jamais
imperator ?
— Ha ! Monsieur, pour l’être, il fallait au moins
emporter la palme du collège en vers latins, mais je fus une année centurion, ce qui jà était prou. Et pour jeux et desports, ès quels j’excellais, je
fus un jour primipile.
— Quels jeux ? Quels desports ? fit
Miroul, étonné.
— Mais tous ! Au collège de Clermont, faute de place,
on ne pratiquait que l’escrime.
— L’escrime ? dis-je, l’escrime qui était bannie
de l’université !
— Mais elle ne l’était pas chez nous. Nous avions un
bon père qui était un maître en fait d’armes excellentissime, et si tel fils de
noble montrait de prime quelque hautaineté l’épée au poing, il avait vite fait,
pour le ramener à la modestie, de lui faire sauter ladite épée hors la main, en
lui disant d’un ton courtois : « Hélas ! pour le coup, mon fils,
vous étiez mort ! » Quant aux autres desports, – paume,
équitation et nage – nous les pratiquions dès le printemps en leur maison
des champs, laquelle, pour nous, était un séjour enchanteur. Et comme nous
labourions alors pour la mériter ! Tout le latin que je sais vient de
là !
— Et qu’y avait-il, dis-je, au collège de Clermont,
outre l’escrime ?
— Des jeux et des comédies très ébaudissantes.
— Des jeux et des comédies ? criai-je. Fogacer,
l’eussiez-vous cru ?
— Je crois toujours tout des bons pères, dit Fogacer
avec son sinueux sourire, et ainsi je ne suis mie étonné par eux.
— Des comédies costumées ? quit
M. de La Surie.
— Oui-da ! dit Jeannette. Avec des vêtures,
façonnées de blic et de bloc par nous. Et bien je me ramentois qu’il m’échut de
jouer le roi Henri Troisième avec une couronne de carton sur la tête et un
bilboquet à la main, lequel, entouré de ses mignons, tous déguisés en diables,
se faisait donner du couteau dans le ventre par saint Jacques Clément.
— Saint Jacques Clément ! dis-je.
— Les bons pères l’appelaient ainsi et le vénéraient.
— Poursuis, de grâce.
— Le coup donné, les diables se ruaient sur Jacques
Clément, lequel se versait à terre, d’où ceux qui jouaient les anges le
relevaient, lui mettaient sur le front la couronne de martyre, et le juchant
sur leurs épaules l’emmenaient au ciel. La couronne de martyre était en carton
et les ailes des anges aussi.
— Comment figurait-on le ciel ?
— Par le haut des degrés qui mènent à la grand’salle.
— Et le Seigneur Dieu ?
— Par une croix nue dont le bras le plus long était
fiché dans le trou d’une escabelle. Et saint Jacques Clément était porté
jusque-là par les anges, lesquels l’asseyaient à la dextre de ladite croix sur
une autre escabelle.
— Autant dire qu’il siégeait au ciel à la droite de
Dieu.
— Oui-da !
— Cornedebœuf ! dit La Surie. Che bella
ricompensa per un assassino [22] !
— Les bons pères le voulaient ainsi, dit Jeannette.
— Et qui d’entre vous jouait Jacques Clément ?
— Chacun de nous à tour de rôle, les bons pères ne
voulant chagriner personne.
— Et Henri Troisième ? Et les diables ?
— Les punis. Et il n’y avait pire attrition pour eux,
hormis, ajouta-t-elle en trémulant du chef à l’orteil, la chambre des
méditations.
— Voilà, dis-je, qui sonne bien bénin à
l’oreille.
— Et qui ne l’était point, dit Jeannette en frissonnant
derechef, même si les bons pères n’en usaient que fort peu, et jamais plus de
vingt-quatre heures. Mais moi qui y fus rien qu’une fois, je peux vous
acertainer que j’en saillis tout à plein
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