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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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séjour en Reims, mon fils ne
m’en ayant mandé que l’essentiel, avec de grands éloges de vous, mais sans
préciser le rollet que vous y jouâtes.
    Je repris alors ma place sur le tabouret à ses piés et lui
en dis ma râtelée, meublant notre embarrassant silence d’un récit auquel ni elle
ni moi n’attachions le moindre intérêt, nos regards, l’un à l’autre emmêlés,
poursuivant pendant ce temps un dialogue qui nous importait mille fois
davantage que mes vaines paroles. Ce fut là un de ces moments si délicieux
d’anticipation trémulente qu’un amant voudrait qu’il durât toujours. Vœu
étrange, à la vérité, puisque l’anticipation n’a de sens que si les actes en
prennent le relais et par là même y mettent fin. Ce qui se fit, et fut
délicieux aussi, mais d’une autre sorte de délice qui accomplissait, mais sans
la faire oublier du tout, celle que nous avions goûtée de prime en ce muet
langage.
    Nos tumultes apaisés, à peu que je n’en crusse mes yeux de
voir la duchesse reposant dans mes bras, nue en sa natureté et sur des draps
foulés (lesquels étaient de satin bleu pâle pour faire valoir, je gage, l’azur
de ses iris et la blondeur de son cheveu). Et à cet instant, lisant en son bel
œil quelque secrète appréhension de l’avenir, je piquai sa belle face de petits
poutounes afin que de l’assurer que la tendresse chez moi ne laisserait pas que
de prendre le relais des plus furieux transports. Et voyant qu’entendant ce
langage par ce subtil sens que les femmes possèdent et qui les fait attentives
aux plus infimes détails, et fort habiles aussi à les déchiffrer, et jugeant
aussi qu’elle paraissait trouver dans ce déchiffrement assouagement et
réconfort, je glissai mon bras senestre sous sa taille et déposai ma joue sur
son tétin, lequel était mollet, mais non point défailli, et je demeurai là
quelques instants dans une humeur que j’oserais dire très proche de la prière
et de l’adoration. Je sais bien que notre religion, qui parle tant de belle
amour et qui la pratique si peu, n’envisage véritablement avec faveur que celle
que nous nourrissons pour le Seigneur ; mais j’aurais l’audace de le
demander à mon lecteur de bonne foi : est-ce aimer le Créateur que de ne
pas aimer la créature ? Et n’est-ce pas tomber dans l’aigreur et l’âpreté
d’une solitude stérile que de désincarner l’amour au point de ne chérir, sans contact,
sans chaleur et sans réciprocité, que des êtres impalpables ?
    C’est dans ces dispositions d’esprit que j’ouïs tout soudain
la duchesse au-dessus de moi me dire d’une petite voix piteuse et
larmoyable :
    — Monsieur, l’irez-vous dire partout ?
    — Moi, Madame ? dis-je comme indigné, et
désengageant mon bras, senestre, je me haussai à la hauteur de sa belle face,
et appuyé sur mon coude, l’envisageai œil à œil. Madame, dis-je, me croyez-vous
si bas ? Irai-je tomber dans ce pernicieux usage de nos muguets de cour,
lequel veut qu’ils divulguent aussitôt en public les tendres et mignardes
douceurs dont on les a dans le privé nourris ? Ha ! Madame ! Je
me couperais la langue plutôt que de souffler mot à quiconque de vos
condescensions pour moi !
    — Monsieur, me le jurez-vous ?
    — Sur mon salut, dis-je avec gravité.
    — Ha ! mon Pierre ! dit la petite duchesse.
Je vous avais donc bien jugé. Déjà du temps où vous aviez revêtu la vêture de
marchand-drapier, je vous tenais pour un homme avisé et point du tout pour ce genre
de fol que vous avez décrit.
    — Hé quoi, Madame, aviez-vous percé jà ma
déguisure ?
    — Ha ! De grâce ! dit-elle, au point où nous
en sommes, ne me madamez point !
    — Mon ange, dis-je, je ferai tout ce que vous voulez,
en cela comme en tout.
    — Mon Pierre ! s’écria-t-elle tout soudain en
riant à gueule bec, n’est-il pas étonnant que vous m’appeliez mon ange dans le
moment même que j’ai cessé de l’être !
    Je fus ravi de cette pétulante saillie où franchise et
naïveté faisaient si bon ménage et, la serrant dans mes bras et me mettant
moi-même à m’esbouffer, je lui piquai derechef à la face des poutounes qu’elle
me rendit à profusion, tant est que nous riions, si je peux ainsi parler, dans
la bouche l’un de l’autre et l’œil collé à l’œil, avec une joyeuseté et une
connivence qui, à y repenser plus tard, me rendirent ce moment unique.
    — Mamie, dis-je quand nous

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