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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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gravement, sait plus de choses
que la Cour. Et je suis en quelque sorte d’Église, veillant de près sur les
saints boyaux d’un évêque.
    — Il se peut Moussu, dit La Surie en me jetant un
œil, qu’un homme de votre escorte ait jasé, et que cette jaserie ait été ouïe,
les oreilles de nos prêtres étant si longues.
    — Les miennes aussi sont longues, dit Fogacer avec son
sinueux sourire. Et ma langue le peut devenir aussi, si mes amis la
sollicitent. Parle, mi fili. Je te vois les joues quasi gonflées de
questions.
    — D’une seule, Fogacer ! dis-je en souriant. D’une
seule, mais de taille ! Qu’es-tu apensé des jésuites ?
    — Benoîte Vierge ! dit Fogacer en levant le
sourcil, les jésuites ! Dans quel nid de frelons te vas-tu derechef
fourrer ?

 
CHAPITRE V
    Quoi disant, Fogacer, haussant haut le sourcil, leva au ciel
ses bras arachnéens, et les laissant retomber gracieusement sur les accoudoirs
de son cancan, dit de sa voix flûtée :
    — Les jésuites, mon Pierre, sont comme les langues
d’Ésope : ce qu’il y a au monde de meilleur et de pire.
    — De meilleur ? dis-je béant.
    — Assurément. Ce sont de prime des gens
merveilleusement instruits, parlant un latin cicéronien, qui ferait mourir de
honte, si seulement ils le pouvaient entendre, tous nos curés. Mieux
même : ils s’entendent aux langues étrangères et n’ont pas plus tôt mis le
pié en terre lointaine qu’ils apprennent diligemment l’idiome des indigènes car
l’étude où ils emportent la palme ne les satisfait pas. Ils s’avèrent voyageurs
intrépides que rien n’arrête, ni les pirates, ni l’océan, ni le désert. Ils
tirent l’épée mieux que quiconque, et qui le sait mieux que toi, mi fili, qui
as croisé le fer avec Samarcas, lequel a tâché d’apprendre ta botte de Jarnac,
sans t’enseigner la sienne : cette fameuse botte des jésuites, qui mit à
mal le pauvre Mundane et tant d’autres. Là où le fer serait sans force,
toutefois, leur langue bien affilée excelle et personne ne les surpasse dans les
finesses et les adresses des négociations. Leur foi est adamantine. Ils se
montrent prosélytes impavides, et bravent pour convertir les Indiens à la vraie
foi – ou ce qu’ils tiennent pour telle, parenthésisa Fogacer avec un
sourire sinueux –, les supplices et le bûcher. Et à la vérité, ils y
périssent bien souvent, non point affligés, mais bien au rebours la joie au
cœur de recevoir de leurs bourreaux la couronne de martyr…
    — Sans doute, dis-je, tout cela est admirable…
    — Mais n’est rien encore, dit Fogacer. Car les jésuites
brillent d’un éclat incomparable – je dis bien incomparable – dans
les deux activités qui leur valent aujourd’hui la jaleuse haine des curés et de
la Sorbonne…
    — Et qui sont ? dit M. de La Surie,
voyant que Fogacer ménageait un silence.
    — La confession et l’école.
    — La confession ? dit
M. de La Surie, son œil marron pétillant et son œil bleu resté
froid, voilà qui m’étonne. Je me confesse une fois l’an, et c’est toujours la
même routine – mon fils, quels sont vos péchés ? – Mon père, ils
sont tels et tels. – Mon fils, ce sont de gros péchés. – Mon père, je
me repens. – Mon fils, vous réciterez dix Pater et dix Ave. Vous
n’oublierez pas non plus l’offrande pour mes pauvres. – Mon père, la
voici. – Mon fils, je vous absous.
    — Ha ! dit Fogacer en riant, cela s’appelle en
italien caricare lo rittrato [19]  !
Et qui parle ainsi sinon le huguenot qui cale la voile et qui va à
contrainte. Ce n’est point qu’on ne trouve, en effet, chez les curés
parisiens des gens de cette farine, mais leurs confessions sont à celles des
jésuites ce qu’est au sublime David dû au ciseau de Michel-Ange le bâton
sculpté du berger ! Mi fili crede mihi experto Fogacero [20]  ! car j’en voulus faire un jour
l’essai et, m’adressant à un jésuite que j’avais vu passer et repasser chez
Mgr Du Perron tout oreilles et tout yeux, quis de lui, s’il serait
assez bon pour m’ouïr en confession. Il y consentit, et prenant, du moment que
je fus avec lui au bec à bec, toutes les couleurs de l’amitié la plus intime,
il fut avec moi si facile, si suave, si accommodant, et même si cajolant, me
posant des questions si bienveillantes et sur moi, et sur mes amis, et sur mon
Maître Du Perron qu’en un clin d’œil, moi qui le voulais jauger,

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