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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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changé en serpent.
Bien des garçons et des filles trop insouciants, comme vous, ont été arrachés à
jamais à leur famille éplorée pour vivre sous une pierre, juste au-dessous de
sa maudite hutte, transformés en bêtes hideuses qui lui tenaient compagnie. Et
chaque fois qu’elle en avait envie, il suffisait à la vieille Griffella de
siffler entre les deux chicots qui lui restaient pour que cette boule de
serpents venimeux se déploie en un sifflement furieux, avide d’exécuter ses
ordres infernaux.
    « Hier soir, mes chéris, comme il arrive souvent à mon
grand âge, j’ai éprouvé quelques difficultés à dormir. L’esprit, il faut le
comprendre, possède une volonté propre que même la prière n’est pas toujours
capable de corriger. Donc, ainsi que j’ai coutume de le faire en pareil cas,
j’ai passé bien des heures dans mon rocking-chair, à regarder, par la fenêtre
du salon, les morts qui erraient telles des lucioles parmi les pierres
tombales, de l’autre côté de la vallée. Eux non plus n’arrivent pas à dormir,
les pauvres. Ils sont là, avec nous, vous savez, à chaque heure, à chaque
minute. Non, non, inutile d’attraper un torticolis. Vous ne pouvez pas les voir
de là où vous êtes. Si vous pouviez sortir de vous-mêmes, ne serait-ce qu’un
instant, et percevoir le monde par votre œil spirituel, alors tout deviendrait
aussitôt compréhensible. C’est ici le paradis, mes enfants. Nous sommes bénis,
tous autant que nous sommes, nous avons déjà été translatés. Nos sens
terrestres sont comme des œillères tentatrices qui nous détournent de la
vérité.
    « Permettez-moi donc de verser dans l’huis de vos
oreilles un élixir aux vertus pratiques. Si jamais vous vous retrouvez à
concocter des biscuits à la citrouille, je vous conseillerai de vous dispenser
de la levure et de lui substituer une cuillerée de cendre gravelée. Une fois
cuit, le résultat n’en sera que plus léger – et plus goûteux – et
votre table sera baignée d’une délicieuse pluie de compliments. »
    Par un après-midi désœuvré, alors que depuis plusieurs mois
Liberty était sous la férule de M’dame L’Orange, Thatcher – curieux de la
santé estudiantine de son fils – lui demanda d’un air dégagé :
« Qui est le président des États-Unis ?
    — Jésus-Christ », répondit Liberty du tac au tac.
    Père regarda Mère. Mère regarda Père. Liberty ne revit
jamais M’dame L’Orange.
    L’instruction reprit à domicile, sous la tutelle attentive
de ses parents et, pendant leurs longues et fréquentes absences, de Tante
Aroline, nantie d’une liste explicite de sujets prohibés, parmi lesquels
figurait en bonne place son chapelet de dadas en vogue, temporairement relégués
dans l’écurie. La société était gangrenée des pieds à la tête, et de toutes
parts il en suintait des poisons nocifs pour l’esprit néophyte. Cette théorie
générale était très claire aux yeux d’Aroline, du moins sur le principe –
sa propre quête de perfection physique et morale ne constituait qu’une
tentative parmi d’autres pour éloigner la contamination fatale –, mais les
détails la laissaient perplexe. Seule dans la grande maison avec un neveu jeune
et impressionnable, souvent durant des semaines d’affilée – et sa volonté,
déjà mise à rude épreuve, assaillie par la solitude, les responsabilités et une
légion d’autres angoisses trop vaguement perçues pour être nommées –, elle
ne pouvait s’empêcher de rapiécer le vide ambiant, tant bien que mal, avec des
instruments de navigation qui lui semblaient inestimables pour négocier les
rapides de l’existence depuis la genèse jusqu’à l’apocalypse : ne mange
jamais rien de rouge ; si tu arrives à embrasser ton coude, ton vœu se
réalisera ; la Divinité ne saurait commettre d’erreur ; dans les
moments de trouble, laisse-toi guider par le vent ; le jus d’une myrtille
suffit à enivrer plus que n’importe quel vin ; les chats sont dépositaires
de secrets auxquels ni toi ni moi n’aurons jamais accès jusqu’à notre
mort ; le cœur est un égout de désirs purulents ; si tu bois trois
litres d’eau par jour, tu ne seras jamais malade ; Dieu parle par la voix
du sénateur Webster ; la route de l’enfer est pavée de crânes de
nourrissons ; le siège du gouvernement, c’est le Château de la
Déraison ; la saleté, ce sont les pellicules du Diable ; ton ombre,
c’est

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