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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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au choc de cette
touffeur, mois d’août avant la lettre. Une journée entièrement composée de
chaleur, épaisse, sans air, tentaculaire, présence palpable qui grevait les
objets, violait les pensées, enveloppait jusqu’à son roman d’un linceul
délétère, étranger, répugnant. Et pourtant, sous le poids du climat, persistait
un soupçon de plaisir à ce morne étouffement, sensation que la terre et la
maison avaient été bâties pour contenir ; et, trop lasse pour résister,
elle s’abandonna simplement, délibérément, s’offrit à l’impression secrète de
sombrer à jamais. Lorsque, une demi-heure plus tard, elle se réveilla, son visage
était baigné de sueur, sa tête palpitait, sa peau picotait. Dans une brusque
bouffée d’impatience, elle roula hors du lit et, traversant la chambre, se
défit de ses derniers sous-vêtements jusqu’à être parfaitement nue. Posant
devant le miroir, elle étudia le reflet qu’il capturait. Un corps réussi, somme
toute, agréable de formes et de proportions, malgré les changements récents qui
l’affectaient sournoisement, le début de ses règles, de ses douleurs, et les
sombres vrilles de poil grossier qui poussaient à la fourche de ses cuisses,
autant de signes indubitables, d’échantillons de l’avenir, de son avenir, et
tout en s’attardant, dans sa nudité profuse, à méditer les énigmes du
corps – notre seul véhicule, tragiquement inadapté, pour traverser les
étendues du temps –, elle ne put que se demander, espoir et appréhension
inextricablement mêlés, à quelle gare lointaine et sans nom cet avenir emballé
finirait par la déposer.
    Une journée unique, cueillie dans le trésor accumulé de sa
jeunesse, et mémorable justement, se disait-elle, parce que cet après-midi-là
il ne s’était rien passé, absolument rien.

 
7
    À mesure que grandissait Liberty, le rayon de ses errances
s’agrandissait aussi. Dès l’âge de dix ans, il aurait pu retrouver son chemin à
l’aveugle dans les bois et collines environnants. Lorsque Roxana lui demandait
ce qu’il faisait au juste lors de ses excursions en solitaire, Liberty
répondait : « Je prospecte. »
    Par un jour d’été limpide, tout occupé à suivre la trace de
quelque plantigrade griffu sans accorder la moindre pensée aux conséquences
d’une possible rencontre, il remarqua par hasard, bourgeonnant à l’ombre d’un
grand rocher, une étrange plante broussailleuse d’une espèce non identifiée,
monticule de vrilles et de feuilles grises et filandreuses qui parut, à son
approche, manifester un léger mouvement frémissant, fort curieux par cet
après-midi sans vent. Le garçon hésita. La créature qu’il pistait s’était-elle
réfugiée dans ce buisson ? Bandait-elle ses muscles pour lui bondir
sauvagement dessus, tous crocs et griffes dehors ? Et puis, au moment où
il se disposait à reculer, Liberty aperçut dans cet étrange empilement de
végétation animée un œil d’un bleu singulier, de nature indubitablement
humaine. Il le fixa, fasciné ; l’œil le fixa en retour. « Ma foi,
déclara une voix flûtée surgissant de l’intérieur du buisson – lequel
gagnait en hauteur et s’avançait vers lui –, tu m’as bien eu, morbleu, et
à la loyale, pas de doute là-dessus. » Une main osseuse émergea du tissu
de feuillage qui était en fait, Liberty s’en apercevait à présent, une cascade
de poils humains gris où jamais nul barbier ne s’était aventuré. « Tu es
sans doute positivement mystifié par l’homme auquel tu as l’honneur de
t’adresser : Arthur Fife, boucanier, pour te servir, mon gars. »
Liberty fit un pas en avant, prit la main encroûtée qu’on lui tendait, puis
examina la sienne et l’essuya sur son fond de culotte. « Je t’ai déjà vu,
mon gars, bien des fois, en train de traverser le territoire, mais toi tu ne
m’as pas vu, oh ça non ! » Il dansait nerveusement sur ses jambes
nues crasseuses, et la masse de poils s’agitait doucement, dévoilant tout juste
qu’il ne portait pas de sous-vêtements. « J’ai été nommé capitaine de
cette forêt voici plus d’un demi-siècle. Essaie de deviner mon âge. Je te parie
que t’y arriveras pas. Vas-y, essaie. » Ses joues barbues continuèrent de
bouger après qu’il eut cessé de parler, comme s’il mâchait quelque chose de
particulièrement dur et collant.
    Liberty tenta d’imaginer une longévité impensable.
« Soixante-dix

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