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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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ans ? » suggéra-t-il timidement.
    Fife réagit par un gloussement semblable au bruit d’un
torrent sur un lit de pierres. « Je suis âgé de cent quarante-six ans.
Incroyable, n’est-ce pas ? Est-ce que tu me crois,
jouvenceau ? »
    Liberty l’examina lentement de la tête aux pieds.
« Oui.
    — Viens, moussaillon, suis-moi. J’ai quelque chose à te
montrer. »
    Il mena l’enfant intrigué à travers les ronces et par-dessus
les branches mortes jusqu’au sommet d’une colline escarpée, où, à la base
pourrie d’un chêne démantelé par la foudre, reposait une pierre de la taille
d’une balle de foin que Fife écarta aussi facilement qu’un boisseau de
feuilles, révélant un trou dans le sol où il disparut avec la rapidité d’un
blaireau effarouché. « Viens, viens », cria fiévreusement sa voix
aiguë du fond des ténèbres.
    À quatre pattes, Liberty se faufila dans un court boyau
humide et se retrouva dans une chambre souterraine étonnamment vaste : le
sol était un doux tapis de mousse fraîche, les murs renforcés de planches sauf
sur un côté, où un réseau visible de racines nues et blanches comme des doigts
de squelette retenait la terre noire. Le plafond bas était décoré d’une
broderie de fleurs blanches, un champ de carotte sauvage que Fife avait
manifestement déraciné pour le replanter à l’envers dans la voûte, d’un mur à
l’autre. L’endroit était spacieux, assez grand pour un enfant, même si la tête
de Fife ne cessait de frôler les fleurs pendantes de ces herbes ornementales.
Confortablement assis en tailleur sur une pile de peaux de bêtes, il avait
allumé un reste de chandelle de suif dont la flamme, quoique crachotante,
suffisait à illuminer le fascinant décor rustique de ce terrier meublé, ainsi
que le singulier sourire figé sur le visage en clair-obscur du propriétaire.
    « Je vois que tu as découvert ma malle aux trésors,
déclara Fife en désignant dans un coin de la pièce une caisse de bois que
Liberty n’avait pas du tout remarquée. Tous mes biens terrestres y sont
renfermés, ajouta-t-il en la tirant vers lui. Ça te dirait d’y jeter un coup
d’œil ? Franchement, mon garçon, c’est pas souvent que je reçois des
visiteurs dans ma demeure ténébreuse, encore moins des malins comme toi, des
gaillards cultivés capables d’apprécier la valeur d’une collection accumulée en
toute une vie sanglante de folies et de fredaines. » Il se pencha pour
glisser en aparté, avec une mine de conspirateur : « Car j’ai été
pirate, tu sais, sous le pavillon noir, avec John Rackham et Bartholomew
Roberts en personne. » Non sans quelque difficulté, il parvint à ouvrir le
couvercle du coffre, qui exhala un nuage suffocant de fine poussière, et le
parfum d’âges révolus. Il y enfonça la main et en sortit un court objet
cylindrique qu’il présenta avec une gravité cérémonieuse. « Une phalange
du capitaine Morgan », prononça-t-il. Liberty tourna l’objet dans sa
main ; pour lui, ça ressemblait à un bout de bois. « Une boucle de
Barbe-Noire », dit Fife en lui tendant une deuxième relique. Pour Liberty,
un brin de chanvre. « Un doublon en or massif, sorti tout droit du trésor
du capitaine Kidd. » Pour Liberty, un caillou terreux. « J’étais là,
tu sais, quand ils ont balancé le capitaine du haut de la potence à Wapping.
Une horrible affaire. La corde a cassé, et ils ont dû le rependre. J’espère ne
jamais revoir une scène pareille. C’était une vie sordide, moussaillon, et je
n’ai pas cessé de l’expier depuis. Mais il y a eu des moments, oh, il y a eu
des fois, même si on m’a pointé un pistolet sur la tempe pour que je signe la
charte, où cette vie était glorieuse, inimaginable.
    « Aujourd’hui, bien sûr, j’ai été abandonné sur une île
déserte par la société, et toi, mon garçon, tu m’as débusqué dans mon petit
paradis. Oui, je suis coupable, un ignoble pécheur, damné aux yeux de Dieu et
des hommes. Je ne mérite pas mieux que ce que tu vois devant toi. » Il
agita mollement la main pour désigner la taupinière où ils se trouvaient.
    « De quoi êtes-vous coupable, monsieur ? demanda
Liberty.
    — Eh bien, d’une vie sans entraves, bien sûr. J’ai
refusé de reconnaître le mot “Non”. Pour moi, ça a toujours été “Oui”, mon
gaillard, “Oui” pour toujours et à jamais. Je n’admettais aucune contrainte,
j’écartais négligemment

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