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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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elle l’aimait, tendrement,
désespérément, elle qui lui avait accordé de son plein gré les portions de son
cœur épargnées par tout commerce humain jusqu’à leur première rencontre ;
et lorsque à l’occasion les épines éclipsaient les beautés de la rose, elle
mobilisait la patience, la main verte de l’amante, et la sagesse de comprendre
qu’au jardin d’ici-bas tout n’était que labyrinthe grouillant, organisé en formes
préétablies, extérieures et intérieures, affublées du nom de Destinée.
    Mais que faire, en définitive, pour ce garçon errant ?
Rien, apparemment, sinon veiller sur lui, s’inquiéter, espérer, et s’efforcer
autant que possible de lui épargner des malheurs.
    « Attache-le par une corde, suggéra Tante Aroline en
évitant avec tact de signaler qu’elle avait expérimenté la méthode en l’absence
des parents.
    — Comme un chien ? s’enquit Roxana, réprimant
presque entièrement sa révolte face à un tel conseil, surtout venant d’une
belle-sœur.
    — Ce garçon doit apprendre à obéir. Il y a en ce monde
des règles à respecter, des lois à assimiler, au dehors comme au dedans. »
    Roxana regarda par la fenêtre. Les collines voisines, dans
leur métamorphose saisonnière du blanc au brun, commençaient à verdoyer d’un
duvet de printemps et paraissaient, étrangement, plus proches qu’à l’ordinaire.
Un faucon solitaire, fragment sombre et défectueux descellé de la voûte
parfaite du ciel, descendait en grands cercles lents vers le fond de la vallée.
« Il n’y a pas de règles, dit-elle tout bas.
    — Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ? »
Aroline, scandalisée, avait du mal à se contenir. « Jamais de ma vie je
n’ai entendu pareille absurdité. Mais cela confine au blasphème, mon
enfant – et je t’appelle “mon enfant” car manifestement ta croissance
morale n’a guère dépassé celle de ton sauvage de fils. C’est donc cela qu’on
vous enseigne dans votre horrible Sud ? Réponds-moi. »
    La ligne mélancolique d’un sourire se matérialisa sur le
visage de Roxana, sans lézarder son expression figée. « Aucun endroit sur
terre n’est plus soucieux de lois, de préceptes, de maximes et de règlements.
    — Les maximes du Diable.
    — Oui. »
    Le processus de la mémoire, lorsque Roxana daignait y prêter
attention, lui évoquait un jeu de cartes hantées, toujours plus épais, qu’on
battrait distraitement : certaines cartes étaient neuves, bien sûr, quel
que soit leur âge, et leurs figures et symboles conservaient un vernis brillant
malgré des années d’usage frénétique, d’autres étaient tout simplement
manquantes (réduisant ainsi vos chances dans la partie cruciale ?), et le
reste, le gros du paquet, se contentait d’accumuler usure et taches, couches
superposées d’énigmes obscures, coins lentement ramollis, détails brouillés,
tandis que se distribuait une main après l’autre dans le cycle glorieux,
capricieux et impénétrable que constituait sans doute le combat d’une vie. Mais
lorsqu’elle était visitée par son passé lointain – autrement dit chaque
fois que ses pensées allaient vers la Caroline –, c’était la même scène
insignifiante qui se déployait dans son champ de vision, avec une régularité
curieuse qui ne devait rien au hasard.
    Elle avait treize ans, quatorze peut-être, en tout cas quelque
part dans cette parenthèse enchantée entre son premier cheval reçu en cadeau et
sa redoutable présentation à Cooper Beacham, ce balourd souriant de toutes ses
dents, son Promis, ou plutôt le Promis de ses parents, produit douteux d’une
des « meilleures familles » d’une des « meilleures
plantations » d’un des « meilleurs et ceteras » d’une terre qui
regorgeait d’et ceteras. C’était l’un des longs après-midi de mélasse de la fin
du printemps, étouffants et paresseux, juste avant l’exil annuel à Charleston
pour prendre de vitesse la chaleur, les moustiques, le « mal d’été ».
Père et M. Dray, le régisseur, étaient allés au Cap inspecter une digue
qui s’était effondrée dans la nuit, Mère recluse dans sa chambre pour
« reposer ses yeux », les garçons en goguette chez les Pritchard
« pour discuter d’un cheval avec quelqu’un », en l’occurrence le
jeune Saxby, légèrement fêlé, et la maison, pour quelques heures trop rares,
était miséricordieusement silencieuse.
    Roxana était seule dans sa chambre,

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