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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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ayant sèchement
congédié, malgré ses coutumières et puériles objections, sa femme de chambre
Ditey, qui s’était couchée devant la porte, à même le plancher de pin, roulée
en boule comme un animal, bruissant et soupirant avec autant d’insolence que la
p’tite maîtresse, selon elle, pouvait en tolérer. Elle avait été sévèrement
prévenue de ne pas aller geindre auprès de Mère que Mam’zelle Roxana l’avait
encore bannie de sa présence. « Au nom du ciel, qu’est-ce que tu fabriques
là-dedans ? s’écrierait Mère en tambourinant violemment à la porte. Ditey
croit que tu ne l’aimes pas. » Et Roxana : « On ne peut donc pas
dérober un seul instant d’intimité dans cette maison de fouineurs ? Est-ce
que je suis condamnée à être épiée perpétuellement par des yeux indiscrets ?
On les observe, ils nous observent, et jamais personne ne se détend. Voilà ce
qui nous rend tous malades. » Mère : « Je vais envoyer chercher
le Dr Groton. » Roxana : « Si vous faites ça, je vais me mettre
à hurler, et je ne m’arrêterai pas jusqu’à ce que je m’évanouisse. » Et
ainsi de suite. Conversation bien sûr dénuée de conclusion nette, et déjà si
souvent jouée, avec moult variantes, que Roxana, épuisée d’avance, n’en
supporterait pas une représentation de plus. Elle avait promis à Ditey une
pièce de dix sous toute neuve et brillante si elle tenait sa langue.
    Et quelle trouble activité Roxana tentait-elle donc de
dissimuler derrière sa porte close ? Elle était, en bonne fille, installée
à sa fenêtre ouverte (perpétuellement ouverte, car jambage et châssis étaient gondolés
en parfait unisson, inséparablement enchaînés dès avant sa naissance), et la
planche à dessin posée sur ses genoux montrait un croquis inachevé mais
raisonnablement fidèle de l’oiseau moqueur brun trônant dans une solitude
princière parmi les branches feuillues du chêne blanc, où poussait une barbe
hirsute de mousse espagnole tel l’écheveau stratifié du temps. Elle aimait les
oiseaux, depuis toujours, sans trop savoir pourquoi. Le charme qu’ils avaient
pour elle comprenait une part essentielle de mystère qui excédait l’élégance
fière, le raffinement de la structure, la beauté fragile – autant de
qualités qu’elle tentait de capturer sur papier, ayant pour projet, d’une
ambition rare chez quelqu’un d’aussi jeune, de cataloguer de sa propre main
toutes les espèces à plume de la région. Une fois réalisé un nombre suffisant
de dessins, Père s’était engagé à faire relier et publier le résultat en un
vrai livre.
    Le moqueur inclina la tête et fixa le grain de plomb de son
œil sur Roxana. Que voyait-il ? Piégée par la spirale de cette vision
perçante et sans pitié, comme elle devait paraître fade, tendre, misérablement
novice, oisillon à peine éclos ! Comment une créature capable de voler, si
elle savait dessiner, restituerait-elle cette chair rivée à la terre ? Il
est des coins de ce monde qu’il ne nous est pas permis d’habiter.
    Trop rapide pour être pleinement visible, le moqueur déplia
ses ailes et fit un brusque saut dans le vide, aussitôt englouti par les airs.
Roxana attendit, la patience étant, comme l’apprend très vite l’amateur, la
vertu cardinale de toute quête ornithologique ; mais après plusieurs
minutes erratiques passées à observer la majestueuse procession des nuages vers
le levant, imaginant que c’était elle et la planète où elle était posée qui glissaient
vers le couchant, alors que ces balles cotonneuses de cumulus restaient
immobiles – ce qui était peut-être bien le cas –, elle comprit que
cette fois-ci l’oiseau ne reviendrait pas.
    Posant la planche à dessin et la boîte de couleurs que Mère
lui avait achetée à Philadelphie, elle regagna le duvet de son grand lit
froissé, rampa sous la moustiquaire rapiécée et, repêchant parmi les draps le
volume d ’Anne de Geierstein ou la Vierge des brumes, prit position sur
une montagne d’oreillers en prévision de son retour aux crêtes et aux landes,
aux clans et aux combats, aux preux en kilt et aux damoiselles à la peau si
pâle. Tandis que les moustiques gémissaient derrière la grille, elle lut une
page, relut la même page et s’interrompit. Le livre lui tomba des mains. Une
vague de lassitude presque narcotique balaya son corps échoué, héraut de
quelque terrible maladie, ou simple réaction anatomique

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