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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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qui
n’était guère impressionné par cette vision. Sa tenue et ses manières
trahissaient ostensiblement son appartenance à cette classe qu’on appelle les
gentlemen.
    « Indubitablement, convint Thatcher. Nous sommes en
vie, et c’est une journée magnifique.
    — Je faisais bien sûr allusion au privilège d’assister
à la fin. »
    Thatcher s’autorisa un léger sourire. « La fin ?
La fin de quoi au juste ?
    — Eh bien, la fin de ce pays, monsieur, de tout ce pays
actif et affairé, du moins tel que nous l’avons connu jusqu’à présent.
    — Vous n’êtes pas le seul à nourrir des craintes quant
à l’avenir de l’Union. C’est une époque alarmante que nous traversons là.
    — Je ne me réfère pas aux machinations fastidieuses du
gouvernement, monsieur. Les gouvernements ne tiennent qu’à un fil. Je ne
participe ni ne m’intéresse le moins du monde à ses diverses tempêtes et
avanies. Ces furies nous ont toujours accompagnés par le passé, et continueront
de nous harceler sur les rivages de l’avenir inconnu et sauvage où nous
finirons par échouer. Et je suppute que cette île sablonneuse ne sera guère
accueillante pour des gens tels que nous.
    — Nous ?
    — Mais naturellement ! Les hommes mûrs qui ont
accédé à l’âge adulte en un temps désormais lointain et perdu. Nous sommes
obsolètes, monsieur. Nous préférons que la poussière colle à nos talons, que
les mules ne soient pas fouettées. Nous n’avons pas été conçus pour la vitesse.
Vous vous rappelez le moment où sont apparues ces malles fluviales ? La
consternation de certains cercles, parfois très puissants, qui déploraient
l’imprévoyance des équipages, leur vélocité incontrôlée ? Les dégâts
causés aux berges par leur sillage turbulent ? Les faux tranchantes dont
on équipait les proues pour couper les cordes des péniches trop lentes ?
Mais à quoi bon ? Les capitaines hautains payaient et continuent de payer
leurs amendes sans se plaindre, et persistent en toute impunité dans leurs méthodes
anarchiques. Et pourquoi ? Pour s’assurer des bénéfices immérités. Que
pèse une modeste contravention face aux sommes monstrueuses accumulées en
casant deux trajets dans le temps qu’il fallait jadis pour en accomplir
un ? Simple question d’économie, monsieur. Canal égale liquidités. Vitesse
égale profit. La voilà, l’équation des temps modernes. » Il fit résonner
le bout de sa canne contre les planches. « Oserais-je vous demander
pourquoi vous n’avez pas choisi de voyager par le chemin de fer ?
    — Euh, oui, bien sûr. Franchement, nous n’étions guère
pressés, et…
    — Alors je peux en déduire que vous n’êtes pas dans les
affaires. »
    Thatcher sourit. « C’est donc la deuxième fois ce matin
que je suis démasqué. La vérité, c’est que je voulais que mon fils connaisse le
plaisir d’un voyage fluvial. »
    Le gentleman approuva de la tête. « Tant qu’il en est
encore temps.
    — Eh bien, oui, vous m’avez percé à jour. » Le
gentleman, qui ne cessait de hocher la tête, présentait tous les signes d’une
sagesse longuement mûrie. « Le chemin de fer arrive, monsieur. De fait, il
est déjà parmi nous. À toute allure, il ouvre des brèches dans les pierres de
chaque foyer, pénètre au centre de tous les cœurs. Nous manquons de proportion.
D’une proportion humaine. D’une vie à l’échelle de nos besoins organiques. Où
trouver le loisir ? Et la contemplation ? Où chercher encore un
minimum de paix, fût-elle infinitésimale ? Nous sommes devenus des
esclaves, monsieur, les esclaves d’une précipitation extravagante et destructrice
pour le corps comme pour l’âme. » Il s’interrompit, leva un doigt.
« Néanmoins, il existe un remède. »
    De la vaste poche de son manteau couleur chamois, il extirpa
un petit flacon brun, qu’il présenta cérémonieusement à Thatcher. L’étiquette,
en majuscules alambiquées, disait : «  MIXTURE
MIRACLE DU COLONEL FOGGBOTTOM  », et au-dessous, en plus
petit : « Guérit l’urticaire, les ballonnements, les vertiges et le
Déclin, et toutes maladies annexes causées par le Galop des Temps
Modernes. »
    « Et vous êtes ? » réagit Thatcher, notant la
forte ressemblance entre le portrait gravé sur l’étiquette et le gentleman qui
se tenait devant lui.
    Le colonel lui retourna une légère révérence. « Ce
n’est pas mon patronyme d’origine, mais

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