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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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d’hommes blancs en maraude, de classe et de rang
douteux, dont personne n’osait ou même n’imaginait mettre en cause (en raison
de leur sexe et de leur race) la raison d’être et l’objectif.
    L’un de ces Seigneurs du Pont gagna, comme par hasard,
l’endroit où se tenait Thatcher, qui contemplait pensivement l’amont, et le
canal qui ondulait tel un serpent chatoyant à travers bois et pâtures.
    « Quelle canicule », commenta l’inconnu, gentleman
d’allure prospère qui se tenait très droit, dans une posture confiante de
dandy. On aurait dit un dessin ou une peinture plutôt qu’un homme de chair et
d’os : il n’y avait pas la moindre marque ou tache sur sa personne, sa
peau parfaite, son costume noir impeccablement taillé sur mesure. Les mots
s’écoulèrent de sa bouche étroite avec une suavité tout oléagineuse, conférant
un air étrangement furtif à une remarque des plus prosaïques.
    « Oui, c’est bien vrai, répondit Thatcher.
    — Vous allez loin ?
    — Rochester.
    — Pour affaires ?
    — On peut le dire comme ça.
    — Bien sûr. Pour affaires, forcément. Ah, les affaires,
encore les affaires, toujours les affaires. Et quand ça n’est pas les affaires,
c’est la politique. La politique, encore la politique, toujours la politique.
Ou pis encore, un affreux métissage des deux. Pour ma part, je me tiens à
l’écart de ces deux domaines. Je garde la tête froide pour des questions plus
pressantes.
    — Que faites-vous donc dans la vie ?
    — C’est difficile à dire exactement. Des choses et
d’autres. Un peu de tout. En fonction des besoins. »
    C’est alors que Thatcher remarqua ses pieds, excessivement
menus pour un homme de sa taille, et chaussés d’une élégante paire de
pantoufles de brocart.
    « J’ai les arpions délicats, avoua l’inconnu. Le cuir
de vache les irrite, à en avoir la chair à vif. C’est votre petit
garçon ? » Il désigna Liberty, assis jambes pendantes au bord du toit
de la cabine.
    « Oui, en effet.
    — Un beau petit homme.
    — C’est aussi notre avis.
    — De fait, voilà une silhouette finement modelée, bien
assimilée à tous égards, et une physionomie innocente, d’une pureté
indubitable. Un beau spécimen, vraiment. »
    Thatcher le dévisagea. « Il n’est pas à vendre.
    — Oh, loin de moi cette idée ! Vous vous méprenez,
monsieur », protesta l’inconnu, dont les traits subirent une révolution
accélérée, comme si plusieurs sentiments contraires cherchaient simultanément à
s’y exprimer. « Oh non, je n’insinuais assurément rien de tel. Monsieur,
vous me voyez fort désemparé. Aussi, et si vous voulez bien consentir à
m’excuser, vais-je prendre congé de vous. » Il se retira en hâte et
descendit l’échelle qui menait à la cabine, jetant quelques regards furtifs
vers Thatcher avant de disparaître.
    « Liberty ! » appela Thatcher.
    Le garçon se retourna à demi. « Oui, Père ?
    — Je ne veux pas que tu t’éloignes trop de ma vue.
    — Bien, Père. »
    Vaguement contrarié d’être arraché à sa rêverie, Liberty
rabattit la hache d’une totale concentration – réservée aux enfants et à
quelques heureux adultes – sur le flot continu de canal soyeux, de voûte
verdoyante, de ciel ruisselant. Il s’était vu comme un prolongement charnel du
bateau, figure de proue vivante toute en yeux, oreilles, nez et bouche, mais où
s’arrêtaient les sens, où commençait le non-sens ? Assurément l’eau, si
verdâtre et croupie, si saumâtre et morte qu’elle pût sembler à un œil purement
physique, était obstinément vivante, tout comme le bateau, où battait un pouls
obscur dans la moindre de ses planches crucifiées, ce bétail sacrificiel
apparenté aux érables, aux bouleaux et aux cèdres dont le treillis de
frondaisons était parfois si proche que Liberty, en tendant la main, pouvait y
cueillir une feuille ou deux. Et ce fut alors qu’il comprit, sans avoir encore
le langage pour l’exprimer pleinement, que chaque objet de ce monde, chaque épi
de maïs, chaque pierre maussade, chaque motte de terre projetée en l’air par un
sabot de mule, était en réalité la traduction d’un sentiment, et que les
éléments concrets du monde visible marquaient chacun un site où une émotion se
fixait, se cristallisait et se manifestait en trois dimensions. En conséquence,
le code secret de la chose la plus inflexible, pour peu qu’on l’aborde d’un

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