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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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l’une de ses fréquentes pauses au salon pour
partager un pichet d’antibrumatique avec la soudain sociable M me  Callahan.
Il avait à peu près l’âge et la taille de Liberty, des bras maigres et
meurtris, les pieds nus aux orteils écartés (il leur manquait plusieurs
ongles), et portait une ample chemise d’homme généreusement rapiécée et des
culottes violettes un peu miteuses. Chaque centimètre de peau visible était
incrusté de crasse en diverses teintes et couches. Mais c’était sa chevelure
qui était la plus remarquable : chaque mèche, d’un brun terne, avait été
coupée à une longueur identique puis apparemment plongée dans de la mélasse et
brossée à la perpendiculaire du cuir chevelu, ce qui lui donnait l’allure d’un
pissenlit prêt à exploser.
    Liberty prit la main qu’on lui tendait, si poisseuse qu’elle
fût : l’étoile révélatrice brillant dans l’œil du lutin était un phare
auquel il ne résisterait jamais, vestige de l’aurore présente en chacun, mais
trop souvent occultée par les nuages aux marches de l’âme.
    « Je suis Stumpy le muletier, proclama-t-il fièrement,
accentuant le dernier mot tel un titre de gloire. Tiens, vise un peu la
cible. » Il désignait le haut-de-forme couronnant un homme assis en
tailleur au-dessous d’eux sur le pont avant, et plongé dans son journal. Stumpy
se pencha, pinça les lèvres et laissa tomber un glaviot bien juteux en plein
centre du chapeau luisant. L’homme leva les yeux et tendit la main tandis que
les garçons se dissimulaient. « Encore un de ces gros Teutons »,
gargouilla Stumpy, qui tentait de contenir manuellement ses gloussements en
plaquant sur ses lèvres ses dix doigts souillés. « J’lui crèverais les
zœils avec un piquet si jamais il osait lever la main sur moi. Tu vois le vieux
Genesee Red, là-bas ? » Il fit un geste vers le somnambule efflanqué
qui cahotait derrière ses bourricots-vapeur. « C’est nous qu’on fait
avancer ce bateau. J’le relaye dans une petite heure. Pas mal, comme rafiot,
hein ? Mais quand même, fais gaffe au capitaine Whelkington. Ne te mets
pas sur son chemin. Il t’assommerait, t’aurais pas l’temps de dire macaroni. Y
a des fois où lui et Red s’embrouillent tellement qu’ils doivent arrêter le
bateau pour se castagner sur le chemin de halage. Mais bon, ça a pas l’air de
déplaire aux passagers. Tout le monde aime une bonne baston. Mais comme je t’ai
dit, vaut mieux pas être dedans, alors reste au large, avec le capitaine. C’est
qu’il a ses humeurs, le bougre. Tiens, tu veux voir quelque chose
d’ébouriffant ? »
    Avec un sourire de conspirateur lubrique, il mena Liberty
dans la salle à manger où, les tables débarrassées, la serpillière passée (une
seule fois) sur le sol, M me  Callahan trônait au bar, un torchon
détrempé dans une main, une tasse de tord-boyaux dans l’autre. « Qu’est-ce
que tu manigances encore ? maugréa-t-elle.
    — En mission pour le capitaine », marmonna Stumpy
en réponse. Il contourna la partie de whist marathon qui se déroulait dans le
coin – des hommes graves, fervents, absorbés, qui n’étaient pas sortis,
n’avaient pas même levé la tête vers le hublot depuis leur embarquement à
Troy –, gagna la cabine arrière, en poussa précautionneusement la porte
et, avec un sourire canaille, pointa le doigt vers le haut. Liberty ne savait
absolument pas où il se trouvait, ni ce qu’il était censé regarder. Cet espace
confiné et empoissé de ténèbres contenait quatre couchettes, un tabouret, et
sentait le moisi, la sueur, le crottin de mule. Une lanterne pendait à une
chaîne, et dans les planches mal équarries du plafond il distinguait des
initiales grossièrement gravées, des mots à l’orthographe anarchique, des
symboles énigmatiques. Enfin il remarqua, forés dans le bois écaillé et plein
d’échardes, une série de trous, certains lumineux comme le ciel de midi,
d’autres sombres comme le fond d’un puits, d’autres encore clignotant
magiquement ou planant dans un clair-obscur crépusculaire.
    Stumpy régla l’emplacement du tabouret et fit signe à
Liberty de grimper dessus pour jeter un coup d’œil. Le globe oculaire collé au trou,
scrutant vaillamment une obscurité grisâtre impossible à déchiffrer, il allait
redescendre lorsque les ombres bougèrent : la lumière palpable, quoique
encore brouillée et comme humide, se mit à suinter sous un autre

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