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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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les bébés et s’envoler les moineaux des arbres, et il bondit de la
chaise à la verticale comme s’il avait le feu au derrière. Seuls quelques
gloussements nerveux troublèrent le terrible silence qui suivit ; la
plupart des spectateurs observaient la scène dans une attente muette et
angoissée.
    « Allons, allons », roucoula le Dr Fitzgibbon, qui
tapota la poitrine de son patient d’un geste consolateur en le faisant se
rasseoir doucement. Il lança un regard au public. « Je crois que nous
avons localisé la molaire coupable. »
    Rire général. Un rire plutôt soulagé et modeste.
    « À présent, poursuivit-il, si je puis me permettre, je
réclame deux volontaires, de préférence mâles et extrêmement vigoureux. Tenez,
pourquoi pas vous, monsieur, oui, et votre ami aussi », désignant deux
jeunes gens costauds et brûlés par le soleil qui, quoique visiblement gênés par
cette proposition, s’avancèrent docilement.
    « Si l’un de ces messieurs voulait avoir l’obligeance
de se placer derrière la chaise et d’agripper fermement les biceps quelque peu
surdéveloppés de M. Turnbull » – nouveaux rires
approbateurs – « et l’autre de faire le tour pour lui tenir les
chevilles… Voilà, comme ça. Et ne soyez pas timides, ni avares de votre force.
Il ne serait pas de bon aloi que notre ami se relevât de la chaise en plein
milieu de l’opération.
    — Attendez une minute, morbleu, protesta Turnbull,
quêtant en vain parmi la foule un signe de soutien moral. Je me demande si je
n’ai pas changé d’av…
    — C’est pas une pendaison, Calvin, lança une voix. Tu
en sortiras grandi.
    — Ou bien porté par tes six meilleurs amis, rétorqua
une deuxième.
    — Si tu en as », conclut une troisième.
    De nouveau, Turnbull fit mine de se lever, mais, retenu par
quatre mains puissantes, il dut se contenter de gigoter faiblement sur son
siège.
    « Enfin, voyons, le réprimanda le Dr Fitzgibbon en lui
agitant devant la figure, suante et boursouflée, un doigt crochu. Écoutez les
conseils judicieux de vos concitoyens. Ce sera l’affaire d’un instant. Les
affres de cette simple formalité ne sont que partie de plaisir comparées au
supplice sans nom qu’il vous faudrait endurer si vous laissiez sans soins le
gouffre pourrissant qui sape votre splendide ivoire. Une putréfaction noire
comme la tombe, et pourtant aussi vive qu’un organisme florissant, continue d’y
prospérer avec une frénésie maligne, se nourrissant allègrement de tout aliment
à sa portée, en l’occurrence le mets de choix que constituent vos blanches
quenottes ; et lorsqu’elles auront été dévorées jusqu’à la racine,
l’intrus passera à un deuxième hors-d’œuvre, la succulente roulade de vos
gencives, puis des gencives à l’os, et enfin au plat de résistance : le
cerveau. Car une fois attablé dans le noble palais luisant de votre crâne, que
lui servira-t-on comme festin, à ce malicieux envahisseur ? Un véritable
foie gras, un délice inexprimable, dont la consommation, hélas, aboutira à la
perte irrévocable de la vue, de l’ouïe, du toucher, du goût et pour finir,
chers auditeurs, au renversement du trône même de la raison, réduisant le
pauvre M. Turnbull à une parodie baveuse du solide gaillard qu’il fut,
sans famille, sans amis, sans le sou et sans toit, bref, une créature assez
semblable à ceci ! »
    Et, tendant le bras, il retourna sa pancarte pour dévoiler
au verso le portrait horriblement détaillé d’un idiot à la langue noire, aux
yeux exorbités, aux lèvres tordues et écarlates et à la chair couleur
chartreuse, qui arrachait par grandes poignées jaune paille sa chevelure
clairsemée et pouilleuse.
    Un cri unanime s’éleva de la foule.
    « Vous n’avez pas envie de ressembler à ça, n’est-ce
pas, monsieur Turnbull ? »
    Terrifié, l’homme secoua la tête.
    « Bien, conclut le Dr Fitzgibbon. Alors nous pouvons
commencer. »
    D’une autre poche de son gilet, il sortit des tenailles
soigneusement astiquées qu’il exhiba au public pour inspection. Un silence
respectueux s’était abattu sur les spectateurs hypnotisés : on n’entendait
qu’une légère brise agiter doucement le feuillage.
    « Messieurs. » À ce signal, les deux volontaires
resserrèrent aussitôt leur prise sur les membres tremblants de
M. Turnbull. « Ouvrez, je vous prie. »
    Alors il inséra entre les mâchoires béantes du patient un
coin de bois

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