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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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lampe, sans compter tous les morts : les mules, les chevaux, les
vaches, les chiens et chats, les rats musqués et les serpents, les grenouilles,
les poissons et, bien sûr, les humains. Liberty avait entendu l’aimable homme
de proue distraire deux jocrisses venus du Nord par des anecdotes lugubres
concernant les macchabées qu’il avait vu repêcher de ses propres yeux cette
année encore : l’un près de Little Falls, un géant glabre qui ressemblait
à un cochon ébouillanté ; l’autre à l’ouest de Ganajoharie, une chose
verdâtre et sans visage à moitié grignotée par les carpes et les tortues, et
dont les os saillaient de la chair spongieuse telle la charpente d’un vaisseau
sabordé.
    Stumpy avait relayé Red sur le chemin de halage, et attiré
dans son sillage une bande de gamins narquois qui singeaient sa démarche
arrogante et scandaient à l’unisson :
     
    Muletier
derrière les mules
    Pour cinq sous
par jour
    Il ramasse du
crottin
    Pour manger
en chemin !
     
    Il gratifia Liberty d’un sourire de connivence et fit
claquer son fouet avec une belle autorité.
    Au cœur embrasé de l’après-midi sans fin, le Crésus atteignit le village de Sparta, et tandis qu’il négociait le passage de
l’écluse ses passagers désœuvrés et surchauffés, apercevant sur la berge une
foule excitée à l’ombre d’un impressionnant châtaignier, et avides d’une
quelconque distraction, se ruèrent à terre dans l’espoir de s’y divertir, ne fût-ce
que quelques minutes.
    Clouée dans l’écorce rugueuse de l’arbre, une pancarte
proclamait en lettres fantaisie : « Dr Wilbur Fitzgibbon, dentiste
diplômé. Extractions : 0,50 $. » Et dans l’espace vide au centre
de cet attroupement de spectateurs braillards et au bord du torticolis, qui
s’alignaient sur trois ou quatre rangées comme des curiosités de fête foraine,
se tenaient le docteur, créature ventrue et enjouée en queue-de-pie et
haut-de-forme, son assistant, courtaud, chauve et noir, affublé d’une tenue de
bouffon élimée et brandissant dans sa main gauche un banjo non moins cabossé,
et enfin, timidement assis entre eux sur une simple chaise de bois, un
gentleman blanc quelque peu anxieux qui réagissait aux encouragements et
quolibets que lui lançait la foule par un rictus sans joie et l’essuyage répété
de son front avec un gigantesque mouchoir à carreaux.
    « Silence ! Silence, je vous prie ! cria le
Dr Fitzgibbon, qui ôta son habit et s’avança, l’air sûr de lui. Avant de
commencer, j’aimerais rappeler à l’assemblée que vous allez assister
aujourd’hui non à une représentation théâtrale ni à quelque numéro oiseux, mais
à une authentique opération de dentisterie d’importance capitale,
particulièrement pour notre ami si durement éprouvé.
    — Sortez le fortifiant, doc ! hurla une voix.
Calvin n’a pas l’air dans son assiette. »
    Fitzgibbon plaqua une main puissante sur l’épaule de son
patient, porta à ses lèvres un doigt réprobateur et reprit :
« J’adjure donc chacun d’entre vous de manifester le respect et la considération
qui siéent à cet événement médical. À présent, avant de procéder à l’opération
proprement dite, il convient d’examiner la dent infectée. » Il fit surgir
de son gousset un long instrument mince et scintillant qui s’affinait en une
pointe diaboliquement fine, se pencha sur le gentleman, lui releva le menton,
demanda poliment : « Voudriez-vous ouvrir la bouche ? », et
se mit à en sonder l’intérieur rose avec une délicatesse d’artiste.
    L’assistant noir, dont le visage luisant restait
parfaitement neutre, passa en revue, de ses yeux sombres et impassibles, ce
champ circulaire de visages blancs semblables à des fleurs dressées baignant
dans une lumière inextinguible, tandis que ses doigts tiraient distraitement
quelques notes éparses des cordes tendues du banjo.
    Liberty, une fois de plus indifférent aux injonctions de son
père, se fraya un chemin dans la jungle de jambes adultes jusqu’à une place
assise, sur l’herbe, avec vue imprenable, parmi une horde incontrôlée d’enfants
hirsutes dont les crânes invariablement étroits et les traits vaguement fœtaux
témoignaient qu’ils communiaient au même sang d’une lignée dégénérée, tout
comme leur propension à se lancer des bourrades au lieu de regarder le
spectacle des grands.
    Soudain, le patient laissa échapper un hurlement qui fit
pleurer

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