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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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altérés, transmutés, littéralement transportés
par-delà les soucis prosaïques de notre morne quotidien. Une telle métamorphose
est parfaitement naturelle et absolument sans danger.
    « À présentée vais avoir besoin de six ou sept âmes
aventureuses, prêtes à prendre le risque de percer ce voile délicat qui nous
masque les innombrables plaisirs d’un autre monde, et disposées à débourser la
somme modique de vingt-cinq cents pour y accéder. Ne soyez pas timides,
approchez, toute personne désirant goûter à ce gaz sera la bienvenue. Inutile
de souligner qu’il s’agit là d’un moment unique dans une vie. Si vous passez à
côté, vous le regretterez. »
    On entendit un raclement de chaises : plusieurs hommes
s’approchèrent.
    « Je veux le faire, dit soudain Liberty en se levant et
en cherchant une pièce dans sa poche.
    — Si ça te rend fou, remarqua Potter, manifestement
amusé, ce n’est pas moi qui en pâtirai.
    — Je sais. Tant pis pour moi, répondit Liberty en se
dirigeant vers la scène.
    — Voilà un jeune homme courageux ! dit le
professeur McGurk en tendant la main pour l’aider à se hisser sur l’estrade. Il
a peut-être envie de passer le premier.
    — Bien sûr !
    — Comment tu t’appelles, fiston ?
    — Liberty.
    — Liberty, hein ? Eh bien, je te garantis que ça
va te libérer. » Il lui tendit un masque en caoutchouc relié par un long
tuyau au bouchon d’un gros bocal en verre. « Ajuste le masque sur ton nez
et ta bouche. Quand je te donnerai le signal, je veux que tu inspires à fond.
Compris ?
    — Oui.
    — Tu vas le regretter ! » cria une voix dans
la foule.
    McGurk tripota le bocal, desserra une pince métallique sur
le tuyau et, hochant la tête, dit : « Vas-y. »
    Liberty inspira. Il sentit quelque chose de frais et de doux
envahir ses poumons comme une bourrasque et, même quand il cessa d’inhaler et
arracha le masque de son visage, la bourrasque continua, emplissant non
seulement ses poumons mais tous les organes de son corps. Ses membres,
apparemment vidés de leurs os et de leur chair, s’emplissaient aussi de cette
vapeur fort singulière. Et puis une bourrasque plus puissante encore, rapide et
bruyante comme un train, escalada sa colonne vertébrale jusque dans sa tête et
explosa contre la paroi de son crâne, et de jolies taches de lumière colorée
tombèrent en cascade chaude et douce sur les prairies ondulantes de son
cerveau ; toutes ces sensations bizarres n’occupèrent qu’un bref instant,
mais Liberty se trouvait apparemment dans un lieu nouveau où les
« instants » non seulement n’avaient pas de sens, mais n’existaient
même plus. Il n’était plus logé bien à l’abri dans son esprit, il enflait
jusqu’à investir un espace agréable, qui avait vaguement la forme d’un corps,
et qui faisait office de prisme réfractant le monde, dont il intensifiait les
couleurs et amplifiait les sons.
    Lorsque le professeur lui demanda s’il désirait une deuxième
dose, Liberty chercha une autre pièce dans sa poche. Son attention oscillait
sans cesse et pêle-mêle des sensations intérieures à la fantasmagorie
extérieure, où les événements survenaient dans un perpétuel passé, comme s’il
se remémorait ce qu’il voyait au présent. Apparemment, l’un de ses compagnons
de scène tentait de tenir en équilibre sur la tête, tandis qu’un autre courait
à quatre pattes en aboyant ; à un moment, lui-même parut se joindre à la
salle pour chanter en chœur, et à pleins poumons, le refrain de Oh Susannah. Après un délai inconnu, il se retrouva de retour à sa table, où il
engloutit aussitôt deux bières et informa son oncle qu’il ressemblait à un
homard.
    L’instant d’après, Liberty évoluait dans un brouillard où
chaque flamme de chaque réverbère à gaz se distinguait nettement, nimbée de son
propre halo, tels des yeux de feu vous guidant vers une catastrophe imprévue.
Des visages émergeaient de la brume et s’y noyaient, flottant comme des nuages,
et tout ce qui se disait autour de lui ressemblait à du chinois, même si jamais
de sa vie il n’avait entendu parler chinois. On aurait cru qu’une pluie infinie
tombait dans sa tête.
    L’instant d’après, ils étaient installés dans un salon
rouge, entourés de femmes en peignoir de soie, tandis qu’un moustachu en sueur
martelait un piano et chantait, très faux et d’une voix rugueuse, une version
méconnaissable de

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