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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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déjà visité
plusieurs fois ce glorieux monument, acheta des billets à l’employée qui se
tenait dans un guichet grillagé. Elle portait un turban et des bagues serties
de joyaux, et elle leur accorda à peine un regard, malgré la remarque de Potter
sur la beauté naturelle de son visage.
    À l’intérieur, de vastes galeries s’étendaient dans toutes
les directions, menant sans fin à d’innombrables salles remplies jusqu’aux
plafonds de collections insolites. Liberty et son oncle passèrent trois heures
à arpenter les corridors, et à contempler avec une admiration mêlée de crainte
respectueuse des poulets à deux têtes, des canards à trois pattes, de
monstrueux fœtus humains aux pieds palmés, aux mains griffues, aux traits
déformés, une femme à barbe qui répliquait sèchement à tous les quolibets, un
homme qui gobait des pièces de monnaie brûlantes, des magiciens ambulants qui
faisaient surgir de nulle part des billets de banque flambant neufs, un nain
avec la tête plantée à l’envers, et tant d’autres prodiges que Liberty
consacrerait des jours entiers à se remémorer cette inlassable parade.
    Mais ce qui le fascina le plus dans tout ce qu’il vit
exhibé, ce fut cet homme noir difforme qui, selon un processus apparemment
spontané, était en train de devenir blanc. Ses bras et ses jambes avaient déjà
atteint une sorte de pâleur cendrée tandis que le reste du corps, ainsi que son
visage lugubre, arborait une apparence mouchetée des plus troublantes, comme si
la peau noire était progressivement envahie par d’obscures plaques de chair
blanche. L’aboyeur en chapeau melon, qui gesticulait avec une canne de bois de
Malacca, expliqua d’une voix stridente que là était la solution aux problèmes
politiques de cette nation troublée. Liberty revint deux fois sur ses pas pour
contempler encore ce pauvre bougre couché sur une paillasse, tout juste ceint
d’un vague pagne, sans parler, sans guère bouger, refusant de répondre même aux
questions directes, et fixant parfois de ses grands yeux sombres un spectateur
particulièrement vociférant pour le réduire à son tour au silence. Tout en le
dévorant des yeux comme les autres, Liberty ressentait un mélange confus
d’émotions qu’il trouvait désagréable mais fascinant, et difficile à
comprendre.
    À Potter, un seul coup d’œil suffit. « De l’oxyde de
plomb, conclut-il en martelant les mots. Un jour, à Buffalo, j’ai vu toute une
troupe de joueurs de banjo peinturlurés comme ça. »
    Liberty était sceptique. À ses yeux, cette peau paraissait
authentique, sans retouches.
    « De l’oxyde de plomb », répéta Potter, qui hocha
la tête d’un air expert et entraîna son neveu dans la salle suivante, où il
entreprit d’« expliquer » tous les mystères qu’abritaient les lieux.
En fait, Potter se délectait à démythifier tour à tour chaque pièce de la
collection, et, comme Liberty lui fournissait un public captif, son
enthousiasme atteignit un degré qui finit par attirer une petite foule. Tout
ici, selon lui, pouvait être aisément reproduit par un usage habile de
cosmétiques et de costumes ou accessoires de théâtre. Les membres, queues ou
têtes surnuméraires et dysfonctionnels avaient été tout bonnement cousus sur
les animaux exposés. Plusieurs de ses auditeurs tentèrent de contredire ses
opinions, voire de mettre en cause sa moralité sinon son intégrité physique, et
Potter s’échauffa dangereusement. On appela la police, sur quoi Potter et
Liberty furent escortés hors du musée avec interdiction formelle d’y remettre
les pieds.
    « Les gens aiment se faire duper, déclara Potter une fois
dans la rue. C’est notre passe-temps national.
    — Je crois qu’ils aiment aussi se disputer, suggéra
Liberty.
    — Ah ça, mon garçon, pas de doute là-dessus. »
Planté sur le trottoir, il regarda rapidement autour de lui puis, soudain,
s’élança parmi la foule, tandis que Liberty avait toutes les peines du monde à
le suivre. En chemin, Potter dispensa de nouveaux conseils de survie dans ce
Far West urbain. « Ne laisse jamais voir ton argent, à personne. Ça
grouille de gens déshonnêtes, ici. Un soir, dans la chatterie de la Mère Polly,
j’ai vu un rustaud en costume à carreaux exhiber sa liasse, et avant qu’il
puisse la rempocher une bande de gaillards attablés à côté l’a laissé tout
estourbi et sanglant dans la sciure, en plein milieu de la salle. J’ai

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