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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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avait toujours été pour lui un lieu
suprêmement magique, où, disait-on, les sorcières s’ébattaient jadis, et où les
tribus primitives se livraient à des rituels complexes d’une séduisante
barbarie, et les forces qui avaient pu être invoquées par ces mystiques païens
devaient encore y rôder, sinon pourquoi le sol resterait-il si obstinément
empoisonné ? Un jour, il avait même cru apercevoir la queue en spatule de
quelque créature verte et tannée se glissant derrière une grosse souche à son
approche. Une autre fois, il avait entendu des voix, surgies devant lui de
l’air désincarné, converser dans une langue étrangère et gutturale, et, en
prêtant l’oreille à leur intrigante péroraison, il s’aperçut, après un
mystérieux ajustement auditif, qu’il comprenait effectivement leur charabia,
traduisant mentalement ces bruits de bouche en anglais reconnaissable, et
qu’elles lui indiquaient où retrouver la pièce d’argent que lui avait offerte
Tante Aroline pour son anniversaire et que, tête en l’air, il avait aussitôt
perdue. La pièce scintillait au centre exact du cercle contaminé. Euclid avait
raison. Les solutions aux grandes énigmes de ce monde sens dessus dessous ne
pouvaient être trouvées qu’en invoquant la sphère invisible. Aujourd’hui,
pourtant, alors qu’il débattait de la question brûlante, adoptant tour à tour,
et scrupuleusement, les points de vue opposés, les bois et les pierres
demeuraient cruellement muets. Enfin, les mots dans sa tête se perdirent, il
pénétra dans une zone où, à court de logique et de langage, il déposa les
armes, et au même instant ce ne fut pas une voix mais le silence qui lui parla
clairement, et aussitôt il se leva et sortit de la forêt pour gagner une route
en bordure de la ville puis une triste fermette au toit affaissé, aux planches
fissurées, aux fenêtres faussées ; devant la porte, une charrette à une
roue penchait sur son essieu dans la boue séchée. Des coups sonores et persistants
finirent par mobiliser une voix féminine à l’intérieur : « Qui est
là ? cria-t-elle.
    — Liberty », annonça-t-il d’une voix douce, et en
réponse le verrou fut promptement tiré, et la lourde porte de chêne s’ouvrit
sur une minuscule femme, pas plus grande qu’un enfant de dix ans. Elle portait
un postiche et une robe rubis tachée et déchirée.
    « Liberty ! s’exclama-t-elle en lui enlaçant
chaleureusement la taille. Je pensais justement à toi. Entre, entre »,
ordonna-t-elle en l’entraînant sans ménagement dans un espace obscur et
encombré qui embaumait la fumée de pin, la graisse rance et les effluves
inimitables de corps humains confinés, sans nombre et sans savon.
    « Je le savais, déclara M me  Fowler avec
un enthousiasme gazouillant qu’une seule case séparait de la folie pure et
simple, je savais, dès l’instant où je me suis réveillée ce matin, que le
soleil ne se coucherait pas sans que ton visage apparaisse à ma porte, alors
j’ai aussitôt décidé que ma tarte du jour, en ton honneur, serait à la rhubarbe.
Et la voici, ma tarte à la rhubarbe, spécialement pour Liberty. » Et elle
fit surgir d’une desserte, dans un coin sombre qu’il distinguait à peine, un
lourd plateau dont il identifia la coupole de croûte dès qu’elle la fourra sous
ses narines dilatées.
    « Excellent ! articula-t-il, franchement incapable
de séparer le parfum du légume entarté des mille autres odeurs qui se
disputaient vigoureusement son attention olfactive.
    — Elle contient un ingrédient secret, confia
coquettement M me  Fowler en aparté, que je ne peux divulguer aux
autres mais qu’à toi, Liberty, je vais révéler. » Elle se pencha vers lui,
pour murmurer en confidence, telle une actrice à son public : « De la
poudre à canon.
    — De la poudre à canon ?
    — Elle ajoute à n’importe quel plat un certain charme
tonique.
    — Dans ce cas, il va peut-être me falloir une part
supplémentaire, suggéra-t-il poliment.
    — Mets-toi-z-en plein la panse, Liberty. Ma famille
méconnaît les tartes aux légumes. »
    Dans les ténèbres auxquelles ses yeux s’habituaient peu à
peu, Liberty découvrit le p’tit Lucius, nu comme un ver, qui titubait au milieu
de la pièce en suçant méthodiquement son pouce et en serrant dans son autre
poing potelé ce qui semblait être une souris morte. De recoins obscurs
parvenaient les bruissements d’autres créatures

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