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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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Jimmy Crack Corn, et que la flamme de chaque lampe
vacillait en rythme et assurait les harmonies vocales. Il s’aperçut que jamais
il n’avait haï aussi violemment une chanson. Le visage de son oncle semblait
enflé, au bord de l’explosion.
    L’instant d’après, il était dans une chambre aux murs
couverts de papier peint, et sur ce papier il y avait des oiseaux en vol, et il
les entendait crier tandis qu’ils volaient en escadre. Mystérieusement, il
n’avait plus son pantalon, et il était assis au bord d’un lit, et une fille
agenouillée entre ses genoux lui lavait avec un gant tiède ses parties
ravivées, et soudain il eut l’impression d’éternuer par le mauvais bout.
    L’instant d’après, la fille avait disparu, et,
miraculeusement, sans l’aide d’une montgolfière, il s’élevait tout droit dans
un ciel éclaboussé de soleil ; au-dessous, l’île de Manhattan, aussi
vivace et irréelle qu’un dragon de conte de fées baignant ses flancs meurtris
au confluent des eaux ; chaque toit était une écaille luisante ;
chaque plumet de fumée, une sombre exhalaison de vapeurs toxiques surgie des
entrailles infernales de la bête ; et les citadins frénétiques, un essaim
de parasites infestant le grand corps somnolent. De ces hauteurs vertigineuses
qu’il occupait à présent, il était impossible de déterminer si une telle
présence était salutaire ou maligne : ces distinctions se faisaient plus
obscures à chaque seconde d’ascension. Imaginez la vue depuis la véranda du
Créateur. Qui aurait la faveur de Son œil munificent ? Le parasite ?
L’hôte ? Les deux ? Au prisme de l’éternité, la différence avait-elle
même un sens ? S’en souciait-Il seulement ? Ces questions même
semblaient triviales. Ces distinguos vulgaires n’étaient peut-être que symptômes
d’une erreur fondamentale, un tri stérile et vain, faute d’instruments exacts.
Eh oui, même à l’altitude des anges, des pensées contrariantes. New York.

 
15
    À la nouvelle de l’attaque de Fort Sumter et de la
déclaration de guerre, Roxana se cloîtra dans sa chambre. Cinq jours durant,
personne ne la vit hormis Thatcher, qui lui montait ses repas et les rapportait
presque intacts. « Bien, répondait-il à toutes les questions, elle va
bien. » Mais son attitude devint d’une brusquerie inhabituelle, sa patience
limitée, et il semblait de plus en plus sujet à des parenthèses d’immobilité où
son corps cessait tout bonnement de fonctionner : son regard se tournait
vers l’intérieur, et il restait figé tel, dans un tableau, un chasseur guettant
par-delà la crête le sinistre aboiement de la meute.
    Seul, couché dans sa mansarde, aux confins morts et froids
de la nuit, ses inquiétudes pour ses parents dansant comme des démons autour de
son lit, Liberty écoutait sa mère pleurer, parfois pendant des heures, et
priait un Dieu douteux auquel il ne pouvait pleinement croire (voyez les
bienfaits dont Il avait comblé cette famille) sans toutefois Le rejeter
pleinement (les choses pourraient être pires, bien pires) pour que tous les
obstacles s’opposant à la migration naturelle des Fish soient promptement
effacés, facilitant la poursuite du bonheur. Forcément, ce fut la Caroline qui
ouvrit le bal et, bien que Liberty n’eût jamais rencontré son grand-père
maternel ni même aperçu son portrait, il ne pouvait s’empêcher d’imaginer
Grand-papa Asa, les joues creuses et les yeux exorbités, appliquant la mèche
enflammée au canon inaugural.
    Au lendemain de la première nuit de ce qui serait des années
de nuit perpétuelle, autour d’un petit déjeuner délaissé, un Thatcher contrit
dévisagea son fils pendant d’interminables minutes avant de remarquer :
« Je crois savoir ce que tu ressens en cette occasion tant redoutée, mais
je tiens à souligner que ni ta mère ni moi ne souhaitons te voir, malgré la
pression compréhensible de tes convictions, filer en douce vers un bureau de
recrutement. Je sais que les crétins des deux camps ont clamé, et même
vociféré, que si le pire arrivait ce pire ne durerait qu’une poignée de
semaines ; il y aura donc certainement une ruée d’impétueux et d’excités
avides d’entrer dans la mêlée avant qu’elle ne s’achève prématurément. Mais je
te demande, comme un père à son fils, de t’abstenir d’une telle précipitation.
Tu es trop jeune.
    — J’aurai dix-sept ans dans quelques mois.
    — Tu n’es

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