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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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ou Bobby Lee qui dirige le cours de cette
guerre », affirma le sergent Wickersham pour rasséréner les « pieds
de paille ». « Sur ce champ de bataille, nous sommes tous Ses
subalternes, les généraux comme les troufions. Et ce commandant en chef ne
laissera pas tomber l’Union. Il ne vous laissera pas tomber, les gars. »
Le caporal Albion Franks, vétéran des batailles de Bull Run et de la Péninsule,
détourna la tête en l’entendant et cracha méticuleusement dans la poussière.
    Et tout au long de cette longue nuit pluvieuse les derniers
régiments rejoignirent le campement en traînant la patte, grande procession de
spectres façonnés de brume et surgis de royaumes souterrains, dans un silence
seulement interrompu par le tintement du métal et le chuintement monotone de
leurs pieds sur la route.
    Liberty et Phineas Fowler étaient blottis sous leur tente,
glacés, trempés et mal en point, à mâchonner par poignées du café sec mélangé à
leur reste de sucre. Interdiction de faire du feu, par ordre du général, et
interdiction de parler. Les deux armées se trouvaient aussi proches que des
voyageurs las partageant une couchette, et leurs frémissements nocturnes
provoquaient régulièrement des fusillades de la part des sentinelles : les
gueules dardaient des éclairs telles des langues reptiliennes dans le crachin
et le brouillard toujours plus épais, tentant de repérer, dans les ténèbres
fiévreuses, la position exacte de l’adversaire. Cette nuit, le sommeil serait
une denrée rare pour les deux camps, et surtout pour Liberty, qui la veille
avait trouvé de la poudre dans sa gourde et constaté, ce matin encore, que sa
baguette de fusil avait disparu. « Dès que la partie aura commencé,
l’avait rassuré le sergent Wickersham, tu n’auras aucun mal à en trouver une
autre. Le champ en sera jonché. »
    « Ça ne m’a pas plu, ce qu’il a dit, se plaignit Fowler
en essuyant la crasse sur le canon de son Enfield. À ton avis, combien d’entre
nous n’auront plus besoin de fusil à la fin de la journée, ni de quoi que ce
soit d’ailleurs ?
    — C’est malsain de raisonner comme ça, Phinny. D’après
le lieutenant Quincy, c’est ce genre de pensées qui attire les mouches.
    — Mais si j’ai ce genre de pensées, c’est peut-être
justement parce que je sens déjà les balles m’arriver dessus !
    — Elles arrivent pour tout le monde, Phinny, et selon
moi le meilleur remède c’est d’essayer de dérober un peu de repos à cette nuit
radine. » Il se tourna sur son côté sec, qui devint aussitôt mouillé.
    « J’ai peur, Liberty. Je ne sais pas si mon âme est
correctement préparée.
    — Va voir l’aumônier. » Il sentait l’avant-garde
d’un rhume prendre ses quartiers au fond de sa gorge.
    « Le pasteur Poague ne m’aime pas. Il croit que tous
les rouquins sont voués à la damnation.
    — Bien sûr, dit Liberty tout en essayant de déterminer
si c’était un caillou ou une racine qui lui irritait la hanche, de même que
tous les gauchers sont des voleurs. Je connais la chanson.
    — Ils pourraient quand même nous fournir une aide
spirituelle de meilleure qualité, surtout à la veille d’une bataille.
    — Qu’est-ce que tu espérais ? Il suffit de voir
nos officiers ! »
    Fowler médita en silence ce grave constat pendant une ou
deux minutes avant de remarquer : « De fait, nous sommes commandés
par une espèce fort singulière de gentlemen, c’est certain. Rien que l’autre
jour, j’ai vu le capitaine Dougherty embrasser son satané clébard en plein sur
ses babines pleines de bave. “Mon chéri”, qu’il lui disait. Qu’est-ce que tu en
dis ?
    — Je m’efforce de ne critiquer aucune marque d’amour
sincère, quelle que soit sa forme. » Liberty avait fini par adopter une
position relativement confortable et si, comme il le soupçonnait, il ne
trouvait pas le sommeil, il pourrait du moins soulager ses membres endoloris.
Ainsi, avec son bras pour oreiller, resta-t-il gisant sur le sol humide à
frissonner comme un chiot ruisselant – mais était-ce dû au froid, à la
fièvre ou à ces sales leçons de mort qui s’étaient invitées non pour une brève
visite mais un séjour durable ? La mort lui paraissait la cavité naturelle
autour de laquelle, tant bien que mal, s’organisait toute vie. Et peut-être la
distance entre elle et soi variait-elle considérablement selon les
moments : cette planète noire

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