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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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l’objectif. »
     
    Contrairement à la plupart des campagnes militaires, qui se
déroulent rarement comme prévu, la confrontation décisive entre Liberty et sa
mère ne fut aucunement le supplice lacrymal qu’il redoutait. Elle le reçut cordialement
dans sa chambre, sans arborer un masque de pâle douleur mais sous ses propres
traits, dans le rôle qu’il lui avait presque toujours connu : ses yeux
étaient dénués de cernes, le blanc en était étonnamment pur et sans veinules,
son teint était frais comme celui d’une laitière, ses cheveux d’un noir argenté
venaient d’être lavés et brossés. Aux yeux de son fils, elle paraissait une
adulte en parfaite santé qui aurait simplement décidé, pour des raisons fort
compréhensibles, de se réfugier quelques jours sous ses draps. Sur le seuil, il
hésita.
    « Je t’attendais », dit-elle en refermant
soigneusement la bible si souvent lue qu’elle avait feuilletée distraitement,
un livre avec lequel elle entretenait une relation de longue date, tumultueuse
et ambiguë, mais auquel elle ne pouvait, du moins pas encore, renoncer pour de
bon.
    « Il m’a fallu un certain temps pour rassembler le
courage nécessaire.
    — Cela aussi, je m’y attendais. Viens t’asseoir près de
moi, dit-elle d’un ton fervent, en tapotant la couverture. Je veux sentir ton
poids sur le lit. »
    En s’installant parmi les douces collines et vallées du
matelas de plume, il remarqua chez sa mère, en la voyant de plus près, un flou
dérangeant, une vague distraction qui menaçait la concentration.
    « Est-ce que tu manges correctement ?
demanda-t-elle, avant d’ajouter, en lui palpant le front : Tu as de la
fièvre ?
    — Pas plus que le reste du pays. »
    Elle soupira. « Tout ce que je pourrais dire ne
changerait sans doute pas grand-chose, à ce stade. Je n’ai jamais pu t’empêcher
de partir à l’aventure quand tu étais enfant, et ce n’est pas aujourd’hui que
je vais t’enfermer dans ta chambre.
    — D’ailleurs, il me resterait toujours la fenêtre.
    — Toutes ces années tourmentées, j’ai su qu’un jour la
tourmente finirait par envahir notre maison, mais je crois que j’ai
délibérément refusé d’admettre qu’il prendrait un tour aussi effroyablement
personnel.
    — Mais je serai de retour avant l’été, protesta-t-il,
promesse grotesque et creuse à ses propres oreilles.
    — Arrête, Liberty. Je t’en prie, arrête. J’ai constaté
qu’il est plus fructueux d’endurer les épisodes pénibles de la vie en les
examinant au prisme de la vérité. Tout ce que je te demande, c’est d’écrire
régulièrement, et de ne pas te montrer trop imprudent. Ne joue pas les héros,
pour personne. Il y aura bien assez de sots et de fous pour briguer cet
honneur, et tu verras sûrement ce qu’il adviendra d’eux. Accomplir sa tâche,
faire correctement son devoir, c’est déjà assez héroïque. N’oublie pas :
survivre à chaque journée est un sommet d’héroïsme.
    — Tu comprends que c’est là une obligation à laquelle
je ne puis me soustraire.
    — Oui. Et tu comprends aussi que je suis une mère.
    — Un grade supérieur à tous les généraux.
    — Bien. À présent, donne-moi un baiser. »
    Elle sentait le savon et la jacinthe, et son odeur de
Roxana – presque vanillée, et à jamais associée pour Liberty à l’amour et
au réconfort –, et quand il s’arrêta à la porte pour lui dire au revoir
(pour la dernière fois, en l’occurrence : il ne la reverrait jamais), il
se vit offrir un aperçu privilégié de la nature même de la nature en voyant
enfin sa mère, pour un instant éternel et poignant, comme un être à part
entière, complètement distinct de lui, avec un passé dont il n’aurait jamais
qu’une connaissance fuyante et fragmentaire, et un présent qu’il ne pourrait
jamais habiter pleinement, et il se dit que sa timide entrée dans la confusion
de l’âge adulte venait de commencer.

 
16
    L’armée se préparait à un bivouac inquiet lorsque, peu après
le coucher du soleil, il se mit à pleuvoir, un présage selon certains, mais
l’on n’aurait su dire s’il était bon ou mauvais. Dans le noir, les hommes
butaient sur des objets inexistants, les chiens aboyaient sans raison valable.
Même les chevaux aguerris paraissaient hantés, hennissaient sans qu’on les
provoque, tentaient de mordre les humains de passage. « C’est un bien plus
haut gradé que le p’tit Mac

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