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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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évoluait autour de vous dans une orbite
inexorable, alternativement tout près et très loin, mais peu à peu, au fil des
années, elle finissait par se rapprocher. Liberty comprenait à présent que son
propre décès différait sensiblement, par la couleur et la tonalité, de la
disparition certes traumatisante mais malgré tout vaguement lointaine d’un ami
ou même d’un parent. Il se demandait comment il se comporterait demain, quand
jamais de sa vie la mort n’aurait été si proche. Serait-il brave ou
fuirait-il ? Et si ses jours, dans toute leur nouveauté, leur richesse
palpitante, devaient s’y achever, à quoi cela ressemblerait-il, cette
transformation d’un bipède plein de souffle et de chaleur, de passion et d’espoir,
en un sac oublié de viande pourrissante comme il en avait vu, hier encore, en
gravissant la montagne, toutes ces mules et tous ces hommes balancés
négligemment au bord de la route en un tas emmêlé de vie avortée ? Son
imagination se figea, paralysée par la perspective de l’éternité, un visage où
il ne distinguait qu’une noirceur de suie béante et un vent glacial. Ses nerfs
étaient tendus comme des cordes de violon, offertes aux mains invisibles et
sinistres qui voudraient en jouer. Mais il trouva enfin un vague réconfort
fugitif – le seul envisageable – à cet état d’émotion sans issue dans
une variante de l’injonction préférée de son père : ton aïeul Azariah n’a
pas aidé le colonel Knox à traîner en plein hiver soixante tonnes d’artillerie
sur cinq cents kilomètres dans les monts Berkshire pour que toi, à la croisée
de l’honneur, de la gloire et de tout ce qui est bon et juste dans l’univers,
tu te tortures avec des spéculations négatives, encore moins pour que tu fuies
devant l’ennemi. L’idée de l’Union, la longue relation intime et compliquée que
sa famille entretenait avec son histoire l’aidèrent à recouvrer ses esprits.
Son humeur s’en trouva même éclaircie. Les idées aussi étaient des armes, comme
le lui avait appris et répété sa mère. Le devoir, donc, le devoir et la
résignation aux aléas du destin, voilà ce qui le porterait, lui permettrait de
traverser, sain et sauf espérait-il, les périls du jour à venir, lequel, à
l’heure où il parvint enfin à apaiser un tant soit peu son cœur inquiet, se
dessinait déjà timidement dans le ciel de l’est. Aussitôt, les quatre batteries
de fusils Parrott de vingt livres postées sur les collines derrière eux
ouvrirent le feu dans un rugissement effrayant qui, une fois lancé, parut
déterminé à continuer sans trêve jusqu’à ce que le soleil réticent expire enfin
à l’ouest. Le sol bougeait, l’air tremblait. Lorsque le sergent Wickersham
arriva, la plupart de ses hommes étaient levés, rassemblés en désordre :
chaque œil scrutait le visage et les gestes du sergent, guettant un signe
rassurant.
    « Du calme, les petits gars, du calme. Pensez au
Seigneur et tout ira bien.
    — Pas de café ? » demanda le soldat Haskell,
engloutisseur invétéré de toute mixture portant ce nom, si immonde et congrue
fût-elle ; mais le sergent poursuivait déjà sa progression parmi les
tentes des traînards, rythmée de grognements et autres jurons de plus en plus
lointains.
    « Au moins, cette pluie infernale a cessé, remarqua le
soldat Goodspeed. Je me suis pas engagé pour me battre contre le temps.
    — Compte tenu de tes glorieux exploits, rétorqua le
caporal Bell, tu t’es pas engagé pour grand-chose », ce qui provoqua une
explosion de rires ; Goodspeed, toujours lent à la repartie, en fut réduit
à regarder par terre, inconsolé.
    « Moi, je préférerais me battre contre les rebelles
tous les jours que d’avoir à subir ces saloperies de bestioles sudistes, gémit
le soldat Coxe en écrasant entre pouce et index deux poux fraîchement
découverts. Ils me rattrapent toujours, ces petits salauds.
    — C’est qu’ils t’aiment bien, Thaddeus, plaisanta Bell.
Ils flairent la bonne bouffe et le linge propre.
    — Le seul linge propre dans cette armée, lança le
soldat Bromfield, un fils d’avocat originaire d’Albany, c’est la pochette du
général Hooker.
    — Et encore, c’est pas sûr », ajouta Bell.
    Un soldat à barbe blanche, dont les yeux roulaient comme des
billes, passa en trébuchant ; il hurlait : « Elle approche, elle
approche, alerte, elle approche !
    — Qu’est-ce que c’est ? cria Fowler.

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