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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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dégrisant qui s’offrait à eux. Par-delà une
clôture délabrée s’étendaient un vaste pâturage ondulant, aux creux encore
embrumés, puis, après une autre clôture, un champ de maïs bientôt mûr, et sur
un tertre, au loin, se dressait un modeste édifice blanc entouré de batteries
confédérées qui, sous leurs yeux, lançaient dans leur direction un
infranchissable tir de barrage, déluge de métal et d’explosifs. Un obus, tiré
trop court, heurta un affleurement rocheux dans le pâturage et, mèche encore
crachotante, rebondit par-dessus tout le régiment de Liberty avant d’éclater
derrière eux quelque part dans les feuillages. C’est alors que Liberty
remarqua, fleurissant droit parmi les hauts épis de maïs, des lames de métal
poli luisant aux rayons du matin : des baïonnettes, par centaines, les
rebelles étaient dans le champ. Son fusil ne cessait de glisser de ses mains
moites, et chaque fois qu’il déglutissait il avait l’impression d’avoir un
caillou dans la gorge.
    Et puis, dans une débauche d’ordres aboyés, le Wisconsin
escalada la clôture et s’avança à découvert dans le pâturage, drapeaux
claquants, sabres au clair, clairons hurlants. « Magnifique, n’est-ce
pas ? » cria le caporal Franks, un grand sourire plaqué sur sa figure
peu renommée pour ses sourires. « Avez-vous déjà connu pareil
bonheur ? » Liberty le dévisagea, bouche bée, stupéfait.
    Le Wisconsin avait franchi la moitié du pâturage quand de
ses creux surgit une ligne d’infanterie confédérée aux fusils étincelants, et
simultanément les batteries sur la colline lâchèrent une salve de tonnerre, et
le Wisconsin disparut dans un nuage furieux de brouillard et de poudre. Dans la
brume changeante, on ne distinguait qu’une poignée d’hommes battant en retraite
au pas de course, et une charmante prairie verte jonchée de centaines de
tuniques bleues.
    « Ça va être à nous ! cria le sergent Wickersham.
Objectif : l’école, là-bas. On va s’emparer de ces foutus
canons ! »
    Liberty éprouvait une sensation des plus étranges : il
n’était plus exactement dans son corps, sa part sensible et pensante flottait
mystérieusement, tel un fantôme, au-dessus de son moi physique. Ses mains,
maladroitement crispées sur son fusil, paraissaient à des kilomètres. Hier
soir, le soldat Todd l’avait informé, avec une conviction résignée, qu’il se
ferait tuer aujourd’hui, et lui avait demandé s’il aurait la bonté de faire
parvenir ses effets personnels à sa famille à Buffalo. Liberty avait dédaigné
cette lugubre prémonition, mais il se demandait à présent s’il n’était pas en
proie au même genre de pressentiment. « Pense aux hommes asservis, l’avait
exhorté sa mère dans une lettre récente remplie de conseils pour supporter les
horreurs de la guerre. Pense à leur labeur voûté, à leurs souffrances, à leur
martyre. » Ces mots, calligraphiés de la main maternelle, lui semblèrent
en cet instant froids et distants. Tous les sermons, tous les arguments qu’il
avait entendus au long de sa courte vie sur les chaînes diaboliques de la
servitude se réduisaient à ceci : une charge insensée, dans un nuage de
fumée dense et suffocante, dans la gueule des canons de l’esclavocratie. Et
lorsque enfin résonna l’ordre tant redouté, son corps parut léger, presque
impalpable, et il flotta au-dessus du sol comme un esprit.
    On ne voyait rien, aucune cible nette à viser, et pourtant,
dans les rangs, les hommes se mirent à tomber comme des poupées brisées,
s’effondrant sans un bruit dans la boue. Un cheval sans cavalier surgit au
galop de la fumée, une jambe bottée suspendue à l’étrier. Le commandant Hays,
dont dépendait la compagnie, et qu’on n’avait pas encore vu ce matin-là, les
croisa soudain en courant, brandissant son sabre d’une main et une bouteille de
whiskey de l’autre, et marmonnant un flot de charabia incompréhensible.
« On dirait que le vieux Bandes-molletières a rendu son tablier »,
lança Fowler avant de s’exclamer : « Aouh ! » et, le visage
rouge et étonné, de tomber à plat dos dans la poussière. « Phinny !
cria Liberty en s’agenouillant auprès de son ami. Tu vas bien ? »
Fowler répondit, avec un sourire crispé : « Sûr, Liberty, j’ai juste
eu le souffle coupé. Je serai debout dans une seconde. » Alors Liberty
remarqua le trou dans sa poitrine. Il y avait de l’écume sur

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