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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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Qu’est-ce qui
approche ?
    — Oh, tu verras, mon canard, toi et tous les bleus,
vous le saurez bien assez tôt. » Et il s’évanouit dans la brume, traînant
dans son sillage son cri d’alarme spectral.
    « Mais c’était qui, bon Dieu ? » demanda
Liberty. Il avait les bottes humides, les vêtements collants, et une douleur
franchement désagréable avait germé derrière son œil droit.
    « Oh, c’est juste le vieux Perkins, expliqua le caporal
Bell. Faut pas faire attention. Il s’excite toujours comme ça avant une
bataille, et puis, quand elle arrive, on le voit repartir dans l’autre sens
vite fait. »
    Un obus confédéré, puis un autre, puis un autre encore
s’écrasèrent dans les arbres au-dessus de leurs têtes, provoquant aussitôt une
averse de feuilles déchiquetées, de brindilles, d’écorce et d’échardes ;
puis une branche entière, grosse comme une traverse de chemin de fer et
agrémentée d’un nid d’oiseau abandonné, atterrit directement sur le crâne du
soldat Goodspeed, qui s’effondra assommé.
    « C’est inédit, comme tactique, vous ne trouvez
pas ? » demanda le lieutenant Rice, un épicier d’Elmira qui avait
décidé de participer à la guerre sous le déguisement (qu’il espérait sans doute
protecteur) d’un dandy : les mains gainées de gants de chevreau élimés,
et, noué à son cou maigre de volaille, un foulard de soie rouge vif qui ferait
de lui, comme le lui claironnait le sergent Wickersham, une cible de choix pour
les Confèds. « C’est comme organiser un bal dans une fabrique qui
s’écroule. »
    Les yeux de Fowler tourbillonnaient dans leurs orbites,
comme s’ils cherchaient la sortie de secours.
    « Pas exactement ce qu’on attendait, hein ? »
remarqua Liberty en retirant les éclats de bois d’entre ses dents, et avant que
Fowler ne puisse répondre tous les canons fédéraux tonnèrent d’un coup :
l’artillerie ouvrait le bal. Le vacarme était tel que les soldats entendirent à
peine le sergent leur commander de se mettre en ordre de bataille. À la gauche
de Liberty, le soldat Alvah Huff, qui aimait les cartes et l’argent (par ordre
décroissant), se mit à répéter à voix haute le Notre Père, balbutiant les mots
si vite qu’ils perdaient tout leur sens et se fondaient en un long
bourdonnement indistinct. Sans perdre le rythme de sa psalmodie, il retira de
sa poche un jeu de cartes qu’il éparpilla négligemment à ses pieds.
    Soudain, dans le tumulte ambiant, Liberty entendit une voix
claire et calme : « Je suis juste derrière toi, métisseur. » Il
pivota et soutint le regard ricanant du soldat Arthur McGee, la terreur de la
compagnie, ex-voleur de chevaux et raciste rustique. « Bienvenue pour ton
dernier jour sur la terre.
    — Dans ce cas, répondit Liberty d’une voix traînante,
j’essaierai de ne pas la laisser dans l’état où je l’ai trouvée.
    — Écoute-moi bien, l’ami des nègres, à l’heure où le
soleil se couchera ce soir tu seras en train de danser avec tes copains
éthiopiens autour d’un feu de camp en enfer.
    — C’est vrai ? Alors je te garde une place. »
    Aussitôt la vareuse de Liberty fut agrippée, juste sous le
col, par un énorme poing charnu.
    « On dirait que t’as bien envie de passer l’arme à
gauche avant même que le bal ait commencé, siffla McGee, inondant le visage de
Liberty d’un généreux bouquet de postillons.
    — Arrêtez ! ordonna le sergent Wickersham en
s’interposant. Gardez ça pour les rebelles.
    — McGee, c’est pas un menteur, gronda ledit McGee en
agitant un index sans ongle sous le nez de Liberty. McGee, il raconte pas de
blagues. Contrairement aux gens, McGee, il dit ce qu’il pense.
    — Contrairement aux gens, répondit Liberty, je te
pardonne. »
    McGee le foudroya du regard ; son visage avait la
couleur du bœuf cru.
    « Mettez-vous en ligne, vous deux, ordonna Wickersham,
on va avancer.
    — Je croyais, commenta Fowler à l’oreille de Liberty,
que les péquenauds étaient tous dans l’autre camp.
    — C’est ça, l’Amérique. Les péquenauds sont répartis
équitablement. »
    On guida la compagnie, sous une pluie continuelle de bouts
d’arbre, jusqu’à l’orée sud des bois, où elle prit position avec le reste du
régiment derrière une unité du Wisconsin fraîchement constituée,
essentiellement de fils de fermiers, qui contemplaient gravement, à la lueur
boueuse de l’aube, le spectacle

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