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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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exploiteraient sans pitié, nous feraient mourir à la
tâche.
    Malgré tout, les salaires furent augmentés, et le travail
reprit. Mais les prix augmentant encore plus, l’amélioration fut peu sensible. Nous
ne pouvions jamais suivre, car, comme le dirent par la suite les syndicats,
« pendant que les salaires montaient par l’escalier, les prix montaient
par l’ascenseur ».
    Les denrées de base manquaient de plus en plus. Au marché
noir, le kilo de beurre, qui valait jusque-là trente à quarante francs, se
vendait maintenant jusqu’à cent cinquante francs. Le kilo de pommes de terre
était passé de un à six francs. Cela devenait insupportable.
    Le café se faisait rare. Dans le coron, les gens
torréfiaient des petits pois, des châtaignes, des graines de lupin, pour les
mélanger avec le café qui nous était fourni. La saccharine avait remplacé le
sucre. Des objets comme le tabac, le savon, le charbon s’échangeaient contre de
la viande, du beurre, des œufs. La moindre parcelle de jardin devenait
précieuse, et beaucoup se mirent à l’élevage de poules ou de lapins.
    Il fallait apprendre à tirer parti de la moindre chose, apprendre
à vivre en se privant sur tout. Le charbon manquait également. À l’automne, pour
remédier à la pénurie, beaucoup de prisonniers de guerre qui avaient été
mineurs furent libérés afin de reprendre leur ancien travail. Mais Jean, lui, ne
revint pas.
    Nous continuions à recevoir ses lettres, et je
confectionnais toujours avec amour des colis que nous lui envoyions. Cette
correspondance était le seul lien, combien précieux, entre nous. Peu à peu, au
fur et à mesure que nous parvenaient ses courts messages, nous apprenions à
connaître sa vie. Il était maintenant dans un commando de la Reichsbahn, dans
la banlieue de Munich. Il travaillait dans une gare, à la manutention des
marchandises. Sans être bien nourri, il n’était pas maltraité : Il logeait
dans un baraquement, grand dortoir meublé de couchettes à double étage. Il ne
se plaignait pas. Le plus dur, disait-il, était cette longue séparation qui le
tenait éloigné de nous.
    Je collectionnais précieusement ses messages. Je passais des
soirées à les lire, les relire, jusqu’à les savoir par cœur. Il y avait
toujours une phrase pleine d’amour pour moi, comme pour me faire oublier ce qu’il
m’avait dit quand il m’avait quittée. Cela me faisait du bien, et en même temps
m’était douloureux : plus, le temps passait, et plus mon cœur de mère
brûlait du désir de le revoir.
     
    Les États-Unis entrèrent, à leur tour, dans la guerre. La
France tout entière fut occupée.
    Nous entendions parler de mesures contre les Juifs. On les
obligeait à sortir avec une étoile de David sur leurs vêtements. On leur
confisquait leur poste de T.S.F., on leur supprimait leur emploi. Nous n’en
connaissions pas, dans le coron, mais des mesures d’une telle injustice nous
révoltaient. Était-ce une faute, d’être juif ? Quel mal avaient-ils donc
fait ? Une preuve de plus nous était donnée de la cruauté et de l’oppression
qu’exerçaient sur nous les Allemands.
    Peu à peu, la résistance s’organisait. Beaucoup de jeunes, voulant
échapper au S.T.O., le Service de Travail Obligatoire dans des camps en
Allemagne, prirent le maquis. Dans les mines, les mineurs ralentissaient la
production.
    — C’est notre charbon, disaient-ils, ce n’est pas
possible qu’il puisse profiter aux Allemands !
    Ils faisaient dérailler des wagons, ils coupaient les freins
en caoutchouc, ils mettaient du sable dans les coussinets des roues. Tous les
moyens étaient bons, s’ils pouvaient entraver le rendement.
     
    Au début de l’année 1943, l’armée allemande capitula à
Stalingrad. Ce fut le grand tournant de la guerre. À partir de ce moment, tout
changea. Les gens prirent conscience que l’armée allemande n’était pas
invincible. Contrairement à l’affirmation d’Hitler qui avait dit : « Ni
le temps ni les armes ne vaincront l’Allemagne », les Allemands subirent d’autres
défaites. Ils furent chassés d’Afrique du Nord, puis l’Italie, à son tour, dut
capituler.
    L’espoir se levait. Nous nous disions :
    — Serait-ce possible de voir enfin la fin de
cette guerre ? Serait-ce possible, surtout, de chasser ces Allemands de
notre pays ?
    Le général de Gaulle, à Alger, constitua le Comité Français
de Libération Nationale. Nous voulions tous croire que

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