La Poussière Des Corons
s’arrêteraient
d’elles-mêmes lorsque le travail aurait repris.
Il est inutile de dire que nous n’osions plus bouger. Le
soir, nous osions à peine allumer, nous calfeutrions hermétiquement toutes les
ouvertures. Ma mère, qui dormait toujours la fenêtre entrouverte, n’écouta pas
mes recommandations lorsque je lui dis de tout fermer soigneusement.
— Bah ! me répondit-elle. Je ne les crains
pas. Ils ressemblent à des chiens qui mordent parce qu’ils ont peur.
C’était peut-être vrai, mais, quelques jours plus tard, vers
six heures du matin, une patrouille allemande qui passait devant chez elle tira
quelques balles dans la fenêtre entrouverte, qui heureusement allèrent se loger
dans les murs.
— Te rends-tu compte, lui dis-je, que tu aurais
pu être tuée ?
Furieuse, elle se résigna à fermer ses fenêtres :
— Nous n’avons plus aucune liberté, fulminait-elle,
cela devient intenable. Et nous ne pouvons rien faire !
J’étais tout à fait d’accord avec elle. Ils devenaient de
plus en plus cruels. À l’autre bout du coron, une vieille femme avait été tuée,
dans sa cour, à sept heures du matin, par un Allemand qui passait sur le
trottoir. La peur et la haine que nous éprouvions envers eux ne faisaient que croître.
Des affiches annoncèrent des sanctions sévères. Devant de
telles mesures, la reprise du travail fut décidée, et la terreur s’apaisa un
peu. Les rues retrouvèrent leur animation, et nous, nous osions de nouveau
respirer.
Ensuite, tout alla très vite. L’avance des Alliés les fit
fuir. Nous les vîmes partir, d’abord en ordre, puis par petits groupes, et, pour
finir, isolés, sur des chevaux de ferme, des bicyclettes ou même tout
simplement à pied. Juliette me raconta que l’un d’eux était entré chez elle, l’avait
menacée et avait tout fouillé pour trouver un vélo. N’en trouvant pas, il était
reparti, furieux, l’accablant d’injures.
Nous les regardions s’enfuir, et nous avions peine à cacher
la jubilation que nous ressentions.
Nous fûmes libérés le 1 er septembre. Aussi
longtemps que je vivrai, je me souviendrai de la joie qui explosa ce jour-là. Ce
fut un indescriptible déferlement d’allégresse, d’enthousiasme, de délire. Tous
les Allemands s’étaient enfuis. Des motocyclistes anglais entrèrent dans le
village. Nous avons couru les voir. Comme nous, ils étaient heureux, souriants.
Ils furent littéralement happés, couverts de fleurs par tous les habitants. Des
femmes les embrassaient en pleurant.
Des blindés suivirent. Nous les avons regardés passer en les
acclamant, en leur adressant des signes d’amitié, de victoire. Eux nous
répondaient avec les mêmes signes, et une joie identique à la nôtre se lisait
dans leurs yeux, dans leurs sourires. Ils criaient aussi, dans leur langue, des
mots que nous ne comprenions pas, mais nous savions que c’étaient les mêmes
mots que les nôtres, qui parlaient de liberté retrouvée, de victoire et de joie.
Beaucoup agitaient des drapeaux aux couleurs de leur pays, auxquels répondaient
des drapeaux français. La pensée de ne plus jamais voir le drapeau ennemi avec
sa croix gammée honnie était à elle seule une fête.
Les cloches de l’église se mirent à sonner. La même euphorie
était dans tous les cœurs : enfin, la guerre était terminée, il n’y aurait
plus de bombardements, nous pourrions de nouveau vivre en paix, avoir de la nourriture,
des vêtements. Ceux qui étaient prisonniers en Allemagne depuis plus de quatre
ans reviendraient ; mon enfant aussi allait revenir. J’aurais enfin une
vie normale, libérée de la crainte de ne jamais le revoir. Les larmes qui
coulèrent sur mes joues étaient, pour cette fois, des larmes de soulagement et
de bonheur.
5
UN soir du mois de décembre, Charles m’annonça :
— Il y a une réunion, entre les syndicats et la C.G.T.
Tous les mineurs du Pas-de-Calais se sont engagés à prélever cinquante kilos de
charbon sur les portions des mois de décembre et de janvier. Cela permettra de
rassembler environ six tonnes de charbon, qui seront distribuées gratuitement
aux familles des fusillés et des déportés de la région parisienne. Nous sommes
les mieux placés pour le charbon, il est normal que nous fassions un geste d’entraide.
J’approuvai. Maintenant, vainqueurs mais meurtris, nous
devions nous relever de nos ruines et essayer de reconstruire notre vie en nous
serrant les coudes.
Ce
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