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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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me
rendre compte que je marchais, j’avançais vers ma mère que je voyais là, étendue
sur le sol, les yeux clos, le visage exsangue. Je me suis retrouvée agenouillée
près d’elle, essayant de lui parler, mais ma gorge bloquée était incapable de
prononcer une parole. Je soulevai délicatement sa tête, essuyai la poussière
qui maculait son front et sa joue. Mes larmes tombaient sur son visage, et je
me mordais les lèvres pour réprimer les sanglots que je sentais venir. En même
temps, j’éprouvais une sensation d’irréalité, une incrédulité qui me faisaient
penser : non, ce n’est pas possible, ça ne peut pas arriver, je vais me
réveiller, ça n’est pas vrai…
    Une main se posa sur mon épaule, une voix dit :
    — Madeleine…
    Je levai des yeux égarés. Émile, le fermier, était près de
moi :
    — Il faut la ramener chez elle et envoyer
chercher le docteur. Son pouls bat, faiblement, mais il bat.
    Ils soulevèrent avec précaution ma mère toujours sans connaissance,
la placèrent sur un brancard pour la transporter. Je courus en avant pour
préparer son lit afin de l’y coucher. La journée si belle était devenue
cauchemardesque ; la lumière du soleil elle-même n’était plus blonde, elle
était maintenant sombre, menaçante.
    Ils la couchèrent dans son lit. Je bassinai ses joues, son
front, avec du vinaigre. Elle ne réagissait pas.
    — Il vaut mieux la laisser au calme, dit quelqu’un.
De toute façon, le médecin va arriver, on est allé le prévenir.
    Un à un, ils s’en allèrent. Des femmes me dirent :
    — Si tu as besoin de quelque chose, Madeleine, n’hésite
pas, viens me chercher.
    Sans les regarder, j’acquiesçai en silence. Ils partirent
tous, et je restai seule avec elle. Le sentiment d’impuissance, de désespoir
que je ressentais était intolérable. Je ne pouvais pas admettre ce qui était en
train de se passer, c’était trop dur, trop injuste. Instinctivement, je sentais
que c’était grave, et j’avais peur.
    Soudain, elle eut un soupir et ouvrit les yeux. Aussitôt, elle
porta les mains à sa poitrine, gémit :
    — J’ai mal…
    Je me précipitai, essuyai son front, essayant de la calmer :
    — Ne bouge pas, surtout, ne bouge pas. Le docteur
va venir, il va te soigner.
    Elle me regarda, et je lus dans ses yeux une sorte de
détachement, comme une délivrance. Elle me dit :
    — C’est la fin, je le sens.
    Affolée de douleur, je criai presque :
    — Ne dis pas cela, oh non !
    — Allons, Madeleine, articula-t-elle d’une voix
faible, sois courageuse. Mon heure est arrivée, il faut l’accepter. – Elle
s’arrêta un instant, et un sourire d’une rayonnante tendresse la transfigura.
– Il est enfin arrivé, le moment où je vais aller rejoindre mon Jean. Il
y a si longtemps, si longtemps qu’il m’attend…
    Mes larmes coulaient, brûlantes, et tombaient sur les draps,
sur elle, sur moi.
    — Ne pleure pas, je t’en prie. J’ai fait mon
temps, plus que mon temps. Tu as ton mari, ton enfant, tu n’as plus besoin de
moi.
    — Oh, ne dis pas ça !
    Elle ne m’écoutait plus. Les mains crispées sur sa poitrine,
en dépit de là souffrance qu’elle devait ressentir, elle avait un regard
heureux, lointain, déjà dirigé vers ailleurs. Sa respiration se faisait
difficile, saccadée. Un peu de mousse rose apparut au coin de ses lèvres. Tout
bas, si bas que je dus me pencher pour entendre, elle dit :
    — Ça fait bientôt trente ans… trente ans que j’attends…
que le temps me dure d’aller le retrouver… Comme c’était long !
    Et, dans un soupir, elle murmura, encore plus bas :
    — Madeleine… Jean…
    Incapable de repousser la douleur qui m’envahissait, je m’abattis
contre elle, et je pleurai. J’étais redevenue un enfant, un enfant qui a besoin
de sa mère, qui ne veut pas qu’elle le quitte, et qui a peur. J’éprouvais un
chagrin immense, insupportable.
    Je pleurai longtemps, contre elle, le visage dans l’oreiller.
Lorsque je relevai la tête et que je la regardai, je vis ce que je savais déjà
– elle avait cessé de vivre.
     
    Elle était partie rejoindre mon père, comme elle le
souhaitait tant, et ses traits avaient dans la mort une expression douce, sereine,
heureuse. Lorsque le médecin arriva, il ne put que constater le décès. Ce n’était
plus le vieux médecin qui nous connaissait bien, c’était un nouveau, que la
mort de ma mère laissait indifférent. Il palpa le corps,

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