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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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dit, avec une moue :
    — Elle a reçu le choc en pleine poitrine. Il y a
eu une hémorragie interne, c’est ce qui a causé sa mort.
    Il ne s’attarda pas. Il signa des papiers que je ne regardai
même pas et s’en alla. Après son départ, des voisines vinrent aux nouvelles. En
voyant mes larmes et ma mère qui reposait dans le lit, elles comprirent
immédiatement. En femmes de mineurs habituées aux coups durs, elles ne s’apitoyèrent
pas inutilement.
    Avec leur aide, je lavai ma mère, l’habillai, refis le lit. Nous
avons croisé ses mains sur sa poitrine, mis un chapelet entre ses doigts, placé
une branche de buis dans un verre au pied du lit, sur une petite table. J’agissais
mécaniquement, sans penser à ce que je faisais. Avec une sorte d’incrédulité, je
regardais ma mère qui reposait. Je ne réalisais pas. C’était trop brutal. Sans transition,
alors que, la guerre terminée, je pouvais espérer mener de nouveau une vie
heureuse, la mort me prenait, une fois de plus, un être cher. Et cet être était
ma mère. Abrutie de chagrin, je ressentais une sorte d’engourdissement qui me
laissait complètement hébétée. Et pourtant je savais que ma souffrance était là,
tapie comme une bête prête à bondir, et qu’elle allait me déchirer, me lacérer
sans pitié.
    Anna arriva ; la nouvelle avait fait le tour du coron. Elle
resta près de moi, pour m’aider à recevoir les femmes qui venaient bénir ma
mère, lui dire un dernier adieu. Cela dura toute la journée, et je savais que
ce serait encore la même chose le lendemain et le jour suivant. À certains
moments, la sensation d’irréalité me reprenait, et, à d’autres, je réalisais
avec une acuité douloureuse, aiguë, que c’était ma mère qui était là, morte.
    Le moment le plus dur fut lorsque Jean arriva, sachant déjà,
le visage hagard, incompréhensif :
    — Ce n’est pas possible… Que s’est-il passé ?
    Je le lui racontai. Il s’effondra, et resta près d’elle, tremblant
d’impuissance et de chagrin. Je voyais, à son regard perdu que, comme moi, il n’arrivait
pas non plus à admettre.
    Charles l’apprit en sortant de la mine, et vint directement,
encore noir de charbon. Dès qu’il entra, son regard se posa sur moi, douloureux,
plein de compassion, de pitié et d’amour. Sans un mot, il me serra contre lui, et
dans ma détresse, je sentis que sa présence me réconfortait. Lorsque je relevai
la tête, je vis que lui aussi pleurait, et ses larmes traçaient deux sillons
clairs dans la poussière noire de son visage.
     
    Ce furent des jours pénibles, douloureux. Tous les gens du
coron défilèrent, et il fallut les recevoir. Ils parlaient de ma mère, et il
fallait leur répondre. Chaque visite ravivait ma peine. Juliette vint me voir
aussi. Elle renonça à consoler Jean, qui se murait dans un désespoir farouche.
    L’enterrement eut lieu le mardi, par une journée d’automne
splendide, et je me demandai comment la nature pouvait ruisseler de lumière
alors que mon cœur n’était qu’une pluie de larmes.
    J’eus mal, pendant très longtemps. Ce fut la tendresse de
Charles qui m’aida à reprendre le dessus. Son amour fut un baume pour mon cœur
meurtri. Je me disais aussi que je devais oublier ma propre peine et penser que
ma mère était en paix, auprès de mon père qu’elle avait tant aimé. Mais ce ne
fut, malgré tout, plus jamais pareil.
    Je dus trier ses affaires, et tout emballer, afin de libérer
la maison pour d’autres. Ce me fut une épreuve de plus. Chaque vêtement, chaque
objet que je rangeais me rappelaient ma mère. Je classai les papiers, et, parmi
eux, retrouvai les lettres que mon père nous avait envoyées pendant la guerre. Il
fallut également enlever les meubles, que Charles et Georges emportèrent. Je
les partageai avec Anna. La maison vide me sembla abandonnée. Je fis le tour
des pièces, allai dans le jardin. Je revis le petit mur, là où Charles m’avait
dit qu’il m’aimait, là où il m’avait dit aussi qu’il voulait m’épouser. Partout,
chaque endroit me parlait de souvenirs, et, quand je quittai la maison
définitivement, j’étais consciente d’y laisser une partie de ma vie que je
savais ne jamais retrouver.

2
    JEAN continuait ses études, qui lui plaisaient toujours
autant. Quand il revenait, toutes les fins de semaines, il bavardait longuement
avec Charles, et les autres mineurs, des problèmes qu’ils rencontraient chaque
jour dans leur

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