La Poussière Des Corons
tel boyau, comment pouvait-on respirer ?
A un moment, un des mineurs donna un grand coup de
marteau-piqueur, et l’écran fut envahi d’une poussière noire ; et, à
travers cette multitude d’infimes particules de charbon, on voyait le mineur
qui continuait de travailler. Moi, je sentais cette poussière entrer dans mes
narines, dans mes yeux, m’obstruer la gorge, envahir mes poumons. J’éprouvais
une sorte de malaise. Comment pouvaient-ils résister, dans ces conditions, jour
après jour, pendant toute une vie ? À partir de cet instant, je regardai
Charles avec un nouveau respect. J’eus pour lui une admiration qui ne fit qu’augmenter
mon amour. Lorsque nous sommes sortis j’ai respiré profondément l’air du soir, et
j’ai compris, plus que jamais, l’incessant besoin de soleil, d’air pur et d’évasion
qu’éprouvaient les mineurs, après des journées d’un tel travail.
Un matin du mois d’avril, Marcelle entra dans ma cuisine, en
larmes :
— Madeleine, tu es au courant ? À Courrières…
J’eus le pressentiment d’une catastrophe. La voix rauque d’inquiétude,
je dis :
— Qu’y a-t-il ? Que s’est-il passé ?
Au milieu de ses sanglots, elle m’expliqua :
— À la fosse 4 de Courrières, hier… il y a eu une
explosion, au fond… Mon frère aîné y travaille. Ma mère est partie, dès qu’elle
a su…
Ainsi, cela recommençait. Ça ne s’arrêterait donc jamais !
Tant de souffrances imméritées… pourquoi ? J’essayai de consoler Marcelle,
de lui dire de ne pas désespérer sans savoir, mais ma voix manquait de
conviction. Je ne savais que trop bien que la mine ne pardonnait pas, et que, cette
fois encore, il y aurait des blessés, et peut-être des morts…
Je vis Catherine le soir. Elle n’avait rien appris, son fils
était toujours au fond. Une équipe de sauveteurs travaillait sans relâche. L’inquiétude
de son regard était douloureuse à voir. Je la comprenais. Moi aussi, j’avais
connu les mêmes affres.
Elle retourna, les jours suivants, attendre devant les
grilles de la fosse. Elle dut vivre cinq longs jours dans l’angoisse avant de
savoir. Le sixième jour seulement, elle revint avec sur le visage un mélange de
soulagement et de souffrance. Son fils avait été remonté avec d’autres. Il
avait été brûlé et était soigné à l’hôpital Sainte-Barbe. Il y avait d’autres
blessés beaucoup plus graves. Certains, me dit-elle, ne respiraient plus que
grâce à un tube de caoutchouc qui conduisait directement l’oxygène à leurs
poumons. On disait qu’une équipe de médecins et d’infirmiers était venue
spécialement de l’hôpital Foch de Paris.
Les derniers mineurs ne furent remontés qu’après vingt et un
jours. Pour survivre, ils avaient rongé l’écorce des boisages, mangé du cheval
décomposé, bu leur urine. L’un d’eux avait une montre, qui leur avait permis de
compter le temps, Jean, lorsqu’il apprit, fut à la fois profondément peiné, révolté
et furieux :
— Cela ne devrait pas se produire. Il faut
absolument faire quelque chose pour leur sécurité. J’y consacrerai ma vie, s’il
le faut, mais j’y arriverai ! Pense à leur angoisse, maintenant, quand ils
retourneront au fond, après une telle épreuve ! Et les seize morts, qui
ont été brûlés vifs ! Il faut empêcher de tels accidents, améliorer la
sécurité, c’est indispensable !
Il parlait avec une sorte de fureur désespérée. Moi, sceptique,
je m’interrogeais. Était-il possible d’éviter de telles catastrophes ? Depuis
mon enfance, j’en avais connu plusieurs. Inconsciemment, je finissais par
croire qu’elles étaient inévitables. C’est pourquoi je vivais, avec, au fond de
moi, la crainte obscure et inavouée de ne pas voir revenir Charles, jour après
jour.
Au-début de l’été, Juliette m’annonça son départ. Son mari
allait occuper un poste d’ingénieur à Béthune, et elle préparait son
déménagement. Elle vint me voir avec son fils Germain, devenu un adolescent
mince et grave.
— Je te verrai moins souvent, me dit-elle, mais, dès
que je serai installée, tu viendras me rendre visite. Ce n’est pas parce que je
vais habiter loin de toi que nous allons nous perdre de vue, n’est-ce pas ?
J’approuvai avec énergie. Elle était mon amie depuis notre
enfance, et je l’aimais sincèrement. Elle était aussi la marraine de mon fils, et
il y avait entre eux deux un amour fait de
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